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La lutte contre l'informel a fait une pause

par Aïssa Bouziane

La lutte contre l'informel a commencé de manière spectaculaire, avec l'élimination de certains marchés, avant de s'embourber dans la procédure, face aux menaces de dérapage et à l'absence de palliatifs à offrir aux populations concernées. Du coup, les ministres ont changé leur fusil d'épaule : ils parlent de recycler, de rechercher des solutions, plutôt que de s'attaquer de front à un phénomène qui a pris trop d'ampleur.

La lutte contre le commerce informel se poursuit laborieusement en Algérie. Après les effets d'annonce et l'euphorie des premiers moments, le gouvernement découvre l'ampleur du phénomène, et les difficultés à éliminer ce qui constitue désormais tout un pan de l'économie du pays.Depuis que le premier ministre Abdelmalek Sellal avait fait de l'élimination de l'informel une des priorités de son gouvernement, avec l'amélioration des services publics, les initiatives, parfois spectaculaires, se sont multipliées. De nombreux ministres se sont directement impliqués dans l'opération, provoquant parfois de sérieux cafouillages, comme lorsque le ministre de l'intérieur Daho OuldKablia avait vanté les mérites du marché parallèle des devises alors que le ministre des finances Karim Djoudi en rappelait l'illégalité. Les parlementaires, eux, sont restés de marbre : le principal marché des devises d'Alger, celui du Square Port-Saïd,  se trouve à deux cent mètres de l'Assemblée Nationale et à cent mètres du Sénat !

65 000 CAS EN SUSPENS A RECYCLER !

Reprenant son habit officiel, le ministre de l'intérieur, M. Daho OuldKablia, a déclaré, à la veille des élections locales du 29 novembre, que les nouvelles municipalités allaient être impliquées dans l'opération. Il a également annoncé que 8.000 commerçants travaillant dans l'informel ont été recyclés selon différentes formules depuis deux mois. Selon lui, ils sont encore 65.000 auxquels il faut offrir des solutions de rechange pour les intégrer dans les circuits légaux.  Tous les établissements seront sollicités pour fournir des locaux, a déclaré M. OuldKablia, citant notamment les OPGI (office de promotion et de gestion immobilière, pour le logement locatif), l'AADL (Agence de Logement pour le promotionnel), ainsi que les collectivités territoriales. Pour le ministre de l'intérieur, l'opération devrait être achevée à l'été prochain, à la veille du Ramadhan.Le ministre du commerce, M. MostéfaBenbada, tente de son côté de reprendre la main sur ce dossier, en multipliant les initiatives destinées à assainir le secteur. Il a annoncé que sept milliards de dinars ont été consacrés à la réhabilitation de 43 marchés, et que dix milliards de dinars seront consacrés à la réalisation de nouveaux espaces commerciaux. Le ministre du commerce a donné une idée de l'ampleur du marché informel, en annonçant que  1.512 sites de commerces informels ont été enregistrés à l'automne 2012, contre 750 un an plus tôt. Mais l'informel ne se limite pas à ces sites, car une partie du commerce officiellement établi échappe au fisc, selon une pratique très répandue. Une tentative des autorités d'imposer la facturation dans toutes les transactions commerciales a tourné court début 2011, car elle coïncidait avec les émeutes qui ont eu lieu en plein « printemps arabe ». De même, le gouvernement est revenu à plusieurs reprises sur l'obligation du paiement par chèque, pourtant imposée par la loi, alors que la marge entre informel et trafics en tous genres est parfois difficile à établir.

LEGALISATION DU PARKING SAUVAGE

Pour l'heure, toutefois, la lutte contre l'informel n'a touché qu'un volet, et s'est limitée à l'interdiction de marchés établis en pleine rue, évacués parfois par la force. Malgré des affrontements dans quelques villes, comme à Mostaganem, l'opération s'est déroulée dans trop d'accrocs. Mais dans plusieurs sites, les commerçants ont réinstallé leurs étals aussitôt après le départ des unités des services de sécurité chargées de démanteler les marches en question. A l'approche des élections locales, l'opération a même subi un coup d'arrêt, de peur de voir la situation dégénérer.En parallèle, l'administration va aussi s'attaquer au phénomène du parking sauvage, ce phénomène qui voit des gens, en majorité des jeunes, s'ériger en gardiens de bouts de rues ou de quartiers où ils font payer les automobilistes en toute illégalité, au vu et au su des autorités locales et des services de sécurité.L'opération s'annonce délicate, mais la surprise est également venue du ministre de l'intérieur, qui a annoncé non une élimination du phénomène, mais sa légalisation sous différentes formules. Pas question en effet de s'attaquer de front à cette activité certes illégale, mais socialement utile. Elle sera règlementée, avec des prérogatives et des responsabilités, a indiqué M. Ould Kablia. Ces gardiens de parking porteront des brassards, badges ou des tenues officielles, a-t-il dit, précisant que la mise en œuvre sera probablement confiée aux nouvelles municipalités. Les parkings sauvages, qui s'étendent à tout le pays, y compris à proximité immédiate des bâtiments publics et ceux des services de sécurité, font l'objet d'une vive controverse. Ils génèrent d'importants mouvements financiers échappant à tout contrôle, et échappent aux impôts. Ils grignotent également l'autorité de l'Etat. Mais d'un autre côté, ils assurent une relative sécurité des véhicules, ce que les services de sécurité ne peuvent instaurer à eux seuls. Leur suppression pure et simple risque de provoquer une flambée de viols et d'agressions.