Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Une résolution du CPE carbonise la filière algérienne du liège

par Samy Injar

Il faut 35 ans pour qu'un chêne-liège arrive à maturité. Presque autant pour les industries de transformation du liège. Emportées d'un coup par un incendie administratif. Le Conseil des participations de l'Etat (CPE) réserve la récolte du domaine public aux seules entreprises publiques du secteur. Faute de matières premières, les acteurs se mobilisent. 500 postes de travail sont en jeu.

C'est une résolution du CPE datée du 10 avril 2012 qui a mis le feu dans le sous bois. Elle ordonne que «les lièges issus du domaine forestier de l'Etat seront cédés prioritairement, et au gré à gré, aux entreprises publiques de transformation du liège, et ensuite, par adjudication aux entreprises privées industrielles de fabrication ou de transformation». Le Conseil des participations de l'Etat, présidé par Ahmed Ouyahia, veut alors sauver les trois entreprises publiques de la filière de la transformation du liège, Bejaïa Liège, Jijel Liège et Etanchéité, et Taleza Liège Collo. La résolution comporte une batterie de mesures d'aides financières d'un montant global de 170,9 millions de dinars. «Que l'Etat actionnaire veuille aider par des facilités bancaires, les entreprises du secteur, nous n'avons rien à dire. Nous sommes pour que l'activité se redresse au profit de tous. Mais que le cadre législatif qui garantit l'accès à la matière première pour les transformateurs des produits de la forêt soit ignoré, cela nous ne pouvons pas l'accepter. La récolte est de 3000 tonnes seulement cette année. Il ne restera rien pour nous» s'élève Mohamed Rafik Zaimeche, directeur de l'entreprise Wiam de la petite Kabylie et porte-parole d'un collectif d'une huitaine de producteurs de la région de Jijel, Collo, Tamalous. Le collectif a adressé un courrier au nouveau Premier ministre pour «dénoncer l'application partisane et discriminatoire, de la décision du CPE (?) donnant priorité au groupe public GLA pour l'acquisition et la transformation de la récolte des lièges en Algérie.

DES ACTEURS QUI ONT FAIT DE LA RESISTANCE LOCALE

Avant ce choc de l'oukase du CPE d'avril dernier, la filière industrielle du liège, 700 emplois environ, accédait à sa matière première selon le mode de la vente aux enchères prévu sans discrimination public-privé. C'est le décret exécutif 89/170 du 05 septembre 1989 qui l'organise ainsi. «Nous arrivions tous à nous approvisionner avec ce système de lots cédés par adjudication» explique Zaïmèche dont l'usine à Belghimouz près d'El Milia emploie à elle seule 150 travailleurs. «En vérité ce sont les autorités qui nous ont poussé à investir et à agrandir nos capacités de production. Je l'ai fait sur la base d'une loi claire qui garantit l'accès à la matière première, le liège récolté dans le domaine public». Les transformateurs du liège frappés par la mesure du CPE sont basés dans des zones à faibles ressources publiques et portent une parcelle du développement local à Taher (Sarl SIBL), Jijel (ETL OUAAR, Entreprise Rouikha) Tamalous (Sarl- Collocork) ou encore Collo (Ets Bourenane Larbi, Eurl, BM.Cork). «Dans les années 90 notre Sarl avait plus de disponibilités en devises sur son compte que son banquier public. Et j'attendais jusqu'à une semaine parfois pour récupérer de l'argent pour mes voyages de prospection.» se souvient Mohamed Lamine Zaïmèche, qui a exporté ses produits en Europe. «Nous avons choisi de résister par l'entreprenariat, le travail. Aujourd'hui je dis aux autorités vous voulez tuer les entreprises qui marchent pour sauver des entreprises à l'arrêt, alors venez, je vous vends mon usine».

LA RECOLTE DE LIEGE DIVISEE PAR HUIT EN 30 ANS

La résolution du CPE fait rager le collectif des signataires car elle se trompe totalement de diagnostic dans la crise du secteur du liège. «L'Etat veut relancer les entreprises publiques de la filière alors que la récolte de la matière première s'est effondrée en 30 ans. Elle est passée de 25 000 tonnes de liège au début des années 80 à 3000 tonnes à peine en 2012. L'Algérie est devenue le dernier producteur du bassin méditerranéen après avoir été le second. Nous attendions des mesures des pouvoirs publics sur ce terrain de la préservation de la subéraie du chêne-liège et de son développement» explique M Zaïmèche. Le collectif des transformateurs du liège a des propositions précises à faire à ce sujet aux pouvoirs publics. Si elles daignent ouvrir un dialogue sur l'avenir de la filière. En attendant, l'enjeu immédiat est le sort de la récolte 2012. Si la résolution du CPE de Ahmed Ouyahia est respectée à la lettre, les 3000 tonnes iront dans les prochaines semaines pour l'essentiel à l'EPE Collo Taleza. Le vieux complexe public de Collo absorbe aussi la part du lion dans les aides publiques décidées par le CPE avec 138 millions de dinars de créances annulées par le trésor, 49 millions de dinars de dettes fournisseurs et 71 millions de dinars d'autres montants à régler. «Sans équipements fonctionnels et sans ressources humaines disponibles Collo Taleza n'est pas techniquement en état de transformer les volumes de liège que lui réserve son actionnaire public» affirme M Zaïmèche. Pendant ce temps, «je ne sais pas quoi dire à mes 150 travailleurs».