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L'histoire sans fin du chronotachygraphe ou «mouchard»

par Nejma Rondeleux

Le chronotachygraphe, un appareil servant à enregistrer la vitesse, le temps de conduite et d'arrêt d'un véhicule, serait-il l'Arlésienne de l'année 2012 ? Annoncée depuis plusieurs mois dans la presse, la mise en application du texte de loi le rendant obligatoire dans les véhicules marchands et de transports de personnes, n'arrive toujours pas. En attendant, les industriels, eux, se préparent déjà à ce marché juteux.

Depuis la loi de 2001, relative à l'organisation, la sécurité et la police de la circulation routière, qui stipule que «les chronotachygraphes s'appliquent à tous les véhicules marchands de plus de 3,5 tonnes et aux transports de personnes de plus de 15 places», les fabricants de ces appareils de contrôle de vitesse et de conduite, suivent avec attention le dossier. Parmi eux, l'entreprise française Continental, qui équipe déjà une cinquantaine de pays européens, n'attend plus que les décrets d'application pour se lancer à l'assaut du marché algérien, évalué par l'Union nationale des transporteurs (UNAT) à 160.000 bus et près de 200.000 camions. Avec son partenaire algérien PLS, Continental est fin prêt pour répondre à la demande des transporteurs privés et publics lorsqu'ils se retrouveront dans l'obligation de s'équiper, comme l'a montré Gilles Baranger, responsable des autorisations légales chez Continental, lors d'une présentation presse du chronotachygraphe VDO Continental-PLS, le 7 octobre dernier à Alger.

Le chronotachygraphe, appelé plus communément «mouchard», est un appareil électronique placé sur le tableau de bord du véhicule qui enregistre la distance parcourue, la vitesse instantanée et la durée de conduite et de repos des conducteurs sur un disque en papier placé à l'intérieur de l'appareil. Deux modèles élaborés par Continental ont reçu, en juillet 2012, l'agrément définitif de l'Office national de métrologie légale (ONML). Un de forme circulaire et un autre rectangulaire capable de s'adapter au tableau de bord des camions asiatiques sur lesquels le chronotachygraphe n'a pas été prévu. Tous deux fonctionnent exclusivement en analogique, c'est-à-dire que les données enregistrées sont directement inscrites sur le disque en papier changé tous les jours. La possibilité de commercialiser un modèle numérique est pour l'heure impossible compte tenu de la réglementation européenne, a expliqué Gilles Baranger. «Les modèles numériques fonctionnent avec des cartes à puce codées dont les clés de déchiffrement sont uniquement délivrées par Bruxelles qui ne les fournira pas à l'Afrique. De plus, si on veut un impact, il vaut mieux un matériel simple d'utilisation capable d'être compris par tous», a-t-il déclaré à ce propos.

Concernant le coût de l'installation, il dépend du camion. Sur les véhicules européens, dorénavant tous équipés d'un chronotachygraphes, seul l'étalonnage de l'appareil reste à effectuer. Il est facturé à environ 500 dinars, selon Alain Arnal, responsable commercial des activités Maghreb chez Continental. Sur les véhicules de fabrication asiatique, en revanche, qui ne possèdent pas de chronotachygraphes, toute l'installation est à réaliser, ce qui coûte entre 7500 et 150.000 dinars, ajoute notre interlocuteur. Une fois le chronotachygraphes installés, le coût de fonctionnement revient à celui de l'achat des disques en papier, soit 500 dinars pour une boîte de 100 disques, a indiqué Fella Aggad, responsable administrative, commercial et technique chez PLS. «Sachant qu'il faut un disque par jour et par chauffeur, une boîte dure environ trois mois et un chauffeur utilise deux à trois boîtes par an», a-t-elle précisé. L'entreprise PLS, spécialisée dans les services aux poids lourd, assure effectivement toutes ces manipulations, depuis un peu plus d'un an déjà, au sein de la station expérimentale de Corso (près de Boumerdès). «Il s'agit d'un atelier technique doté de bancs à couteux (ou bancs à vitesse) qui permettent un étalonnage de l'appareil en 45 minutes, au lieu de trois heures lorsque la manœuvre s'effectue sur piste. PLS est aujourd'hui la seule entreprise algérienne à être équipée de ce matériel», commente, non sans fierté, Djamel Khadraoui, commercial chez PLS, précisant que deux personnes travaillent actuellement sur la station et qu'une troisième est en cours de formation. «Deux autres ateliers techniques devraient bientôt être opérationnels, à Skikda et à Oran», a-t-il ajouté.

Les trois piliers du système de contrôle

Continental, qui n'en est pas à son premier coup d'essai, a par ailleurs déjà réfléchi à l'accompagnement du déploiement du chronotachygraphes. «Trois niveaux de formation vont être dispensés : une formation technique pour les personnes chargées de l'installation des appareils, une formation pour les utilisateurs à travers le centre de formation des transporteurs et les auto-écoles préparant au permis de conduire professionnel et une formation pour le contrôle auprès des formateurs des forces de l'ordre», détaille Gilles Baranger. Le service après-vente, quant à lui, comportera deux volets, a-t-il poursuivi. Le premier est un service de proximité avec les transporteurs capable de répondre à toutes leurs interrogations et difficultés. Le second repose sur le réseau des stations techniques amené à se déployer dans chaque wilaya du pays afin d'assurer l'installation, l'étalonnage et la maintenance des chronotachygraphes.

 Pour que tout cela fonctionne, il faut que les trois piliers sur lesquels repose le chronotachygraphe, à savoir l'enregistrement des données, la réglementation de la vitesse et des temps de repos ainsi que le contrôle par les forces de l'ordre, soient respectés, a répété à plusieurs reprises le responsable de Continental. «Si un des piliers est absent, le système ne marchera pas», a-t-il souligné, prenant comme exemple un «pays du Moyen-Orient» où l'obligation du chronotachygraphe n'avait pas eu les effets escomptés en terme de réduction de la mortalité routière, faute de contrôle suffisant, selon lui.

 Reste donc aux autorités à prendre les mesures qui s'imposent. Or, si les déclarations du ministre des Transports, Amar Tou, le 14 octobre dernier, annonçant l'entrée en vigueur «avant la fin de l'année» de «plusieurs projets de décrets et arrêtés», destinés à un durcissement dans l'application du code de la route, montrent que la sécurité routière revient au centre des préoccupations, le fait qu'aucun des véhicules de la SNTR ne soit, à l'heure actuelle, équipé d'un mouchard, laisse présager que l'histoire du chronotachygraphe n'est pas encore à sa fin.