|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Un blog à prétention journalistique transforme en «info» une rumeur sur
la mort du président Bouteflika. Sans réaction à Alger, la nouvelle se répand
et sème l'émoi. Comment et pourquoi une rumeur venue d'Europe fait un effet
massif? Eclairage.
La rumeur, une fois n'est pas coutume, n'est pas venue d'Alger, mais de France. Dans les salles de rédaction des journaux français, on en parle ce vendredi soir: le président Abdelaziz Bouteflika serait en soins intensifs dans une clinique suisse et le pronostic vital serait engagé. Sur Facebook, les échanges se font sur le mode privé, les téléphones fonctionnent entre Paris et Alger. Personne n'en sait rien. Personne n'ose encore balancer «l'information» en ce début de soirée. «La rumeur... de nouveau... cinq ans que ça dure...», note un confrère sur sa page Facebook. Message reçu et les commentaires sont restés sur le même mode: elliptiques et prudents. En mode privé, les journalistes notaient qu'il n'existait aucun signe particulier à Alger qui pourrait conforter un début de rumeur. «C'est vendredi, banal et plat, sans aucun signe extérieur d'un début de fébrilité». Ces démentis raisonnables sont pourtant restés sans effet. La rumeur a persisté, elle a enflé? Mais personne n'osait «transcrire» la rumeur? C'est un blogueur, Allain Jules, qui saute le pas vendredi soir et obtient le jackpot en termes de visites du site. Allain Jules, qui fait de la contre-info aux médias dominants sur l'actualité internationale comme la Syrie ou l'Iran, cite des «sources médicales que nous venons de recevoir de Suisse» pour affirmer que «le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, admis dans une clinique suissesse pour des soins intensifs, serait, à l'heure où nous bouclons cette brève, cliniquement mort. Les choses seraient en train de s'organiser à Alger, avant une éventuelle annonce officielle». COMMENT LA RUMEUR EST DEVENUE «INFO» Tout en qualifiant la «nouvelle» de «surprenante», Allain Jules termine par un prudent mais spécieux «Nous ne pouvons, pour l'instant, ni confirmer ni infirmer l'information». La rumeur qui flottait comme attendant le mot de s'élancer avant le coup de starter: un lien sur Internet que les curieux, algériens le plus souvent, ont suivi et diffusé. Tout en prétendant ne pas s'en «réjouir», l'auteur du blog fait le bilan: «plus de 150.000 visiteurs uniques/jour» à suivre «une brève de l'actualité algérienne». «Mieux que plusieurs grands sites d'informations de la planète», se réjouit néanmoins Allain Jules. Et il nous explique comme la rumeur s'est transformée en «info». A 15h30, il était attablé à une brasserie du 8e à Paris, il était «insouciant» quand le téléphone sonne et qu'on l'informe que le président Bouteflika est mort, dans une clinique en Suisse. Et ce serait presque par amour de l'Algérie qui risquait de «devenir une cible facile pour les prédateurs occidentaux» qu'il a décidé de balancer «l'information», à 17 heures, «soit 1h30 après avoir passé plus de 30 coups de fil». Et, selon Allain Jules, après que des responsables algériens lui eurent répondu «nous ne savons pas» à la question de savoir si Bouteflika était à Alger où à l'étranger. D'un point de vue strictement professionnel, ce qu'Allain Jules avait écrit restait, malgré la déficience présumée des responsables algériens qu'il a contactés, une simple «rumeur». Et quand on fait de la contre-info, on sait que la rumeur est souvent le corollaire de la manipulation. ALLAIN JULES SANS CONTRE.INFO ALGERIENNE Toujours est-il qu'Allain Jules est aujourd'hui encore plus célèbre qu'avant la diffusion de la rumeur qui a enflammé la Toile algérienne et qui a suscité un intérêt intense, du Maroc au Liban. Succès total? La rumeur-info d'Allain Jules ne faisait que se répandre alors qu'à Alger le silence restait de mise. Certes, des journalistes algériens ont bien appelé les «sources proches» et «informées». Et certaines de ces sources ont juré que le «président ne souffrait même pas d'un mal de tête», mais aucune n'a osé utiliser les multiples canaux disponibles pour bloquer la rumeur. Rien n'entrave en définitive le buzz d'Allain Jules, dont le blog est devenu le centre d'intérêt des Algériens. Il a fallu attendre encore le lendemain, samedi, pour que le porte-parole des Affaires étrangères, Amar Belani, dise quelque chose, moins sur le mode du démenti que sur celui du mépris. Pas très efficace. Allain Jules continue à surfer en se disant «heureux» d'attendre une réponse des autorités algériennes à ses «allégations infondées». |
|