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Les dernières lointaines victimes de Staline en Algérie

par Kamel Daoud

« Selon les besoins de la nation ». C'est avec ce mode d'emploi qu'une commission au sein du ministère de l'Enseignement supérieur décide des orientations des nouveaux bacheliers algériens. Donc, par quota de têtes, on décide que Untel sera médecin et l'autre géographe assis. Qui décide ? Des gens. Selon quoi ? Le besoin de la nation. Cela s'appelle comment ?         Cela s'appelle socialisme ou stalinisme. Vous venez au monde, vous décrochez votre bac. Vous rêver d'être astronaute, Staline veut vous faire vétérinaire. C'est Staline qui a le dernier mot. Staline est mort mais la politique d'orientation est vivante. En Algérie. Combien de rêves brisés en Algérie par cette politique ? Des milliers. C'est d'ailleurs l'une des méthodes nationales pour faire fuir la matière grise ou l'écraser au berceau comme un chewing-gum.

Donc l'Etat oriente selon ses besoins, ses besoins de chiffres et de statistiques. A la fin, il y a même des fonctionnaires de ce ministère qui osent être satisfaits parce que 57% des nouveaux bacheliers ont été orientés selon leur choix ! C'est-à-dire que 43% feront des études qu'ils ne veulent pas, selon le choix du ministère de l'Enseignement supérieur. La formation des élites ne se décident donc pas selon les besoins de l'économie, des grands chantiers, des PME / PMI, et des entreprises algériennes et des rêves et ambitions de l'individu, mais en fonction de cette fixation du régime postsocialiste pour les bilans et les chiffres. A l'ère de Bouteflika, on forme selon les désirs de Boumediene et pas de ceux de 2012 vers l'an 3000.

Le pire est que derrière ce système, des syndicats d'enseignants commencent à dénoncer un véritable apartheid qui se met en place. Selon les jeux d'influence et de pouvoirs et de caste, on peut avoir accès aux filières nobles pour ses fils, là où d'autre sont orientés vers les filières poubelles, soutien-t-on. Le système universitaire algérien, déjà gangrené par les avantages accordés aux « ayants droit et leurs enfants » depuis les premiers populismes de l'indépendance, risque de se retrouver aujourd'hui gangrené par le poids du « politique », du régime&fils et des colons. Car il s'agit bien d'une politique coloniale qui risque de se mettre en place : celle des formations interdites et fermées pour la plèbe et des filières pour la caste supérieure, la classe dominante. Et des formations de base destinées aux colonisés. Avec, en plus, cette dévaluation de la valeur qui affecte le système, la ressource humaine, les notes sur les copies et les hiérarchies symboliques, capitaux d'une nation ou son désastre.