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IDEES SIMPLES, COURTES ET FAUSSES

par M. Saadoune



Dans certains médias internationaux et français notamment, la retenue de l'Algérie et son manque d'engouement à intervenir militairement au Mali sont interprétés sous l'angle d'intentions sournoises. Quand la flatterie ne suffit pas - rien ne peut se faire sans l'Algérie, dit-on -, on passe au procès ! Classique.

Paradoxalement, l'absence de communication entre les autorités et la presse conduit des journalistes algériens à se faire les vecteurs inconscients du discours élaboré, ailleurs, pour mettre la pression en faveur d'une intervention de l'armée algérienne. On peut comprendre que la diplomatie algérienne soit peu communicative sur le dossier des otages algériens, mais éclairer, en off, les journalistes est un travail basique. Cela se fait partout et permet aux journalistes d'avoir suffisamment de background pour décrypter les informations. Ce travail ne se faisant pas, il convient donc d'inciter tous les journalistes qui traitent de la question du Mali et du Sahel en général à lire le rapport de Crisis Group sur la question et qui est significativement intitulé «éviter l'escalade».

Crisis Group étant animé par des personnalités occidentales, on ne peut lui imputer des intentions sournoises quand il préconise, comme l'Algérie, de privilégier la solution politique plutôt que militaire. L'ONG précise que dans les conditions politiques et sécuritaires actuelles, une intervention militaire ferait plus de mal que de bien. Et sans faire dans le détour, elle met l'accent sur la restauration «des fondations politiques, institutionnelles et sécuritaires de l'Etat pour donner une chance à un retour du Nord dans le giron de la République». On est bien dans un préalable lourd qui rend la réponse militaire totalement incongrue à moins d'avoir pour option d'occuper durablement les villes du nord du Mali et de s'y installer en position de défenseur de forteresse. Et pour aller dans une démarche inclusive, Crisis Group estime nécessaire une «réforme radicale du mode de gouvernance du Nord, qui a reposé au cours des dernières années sur un maillage lâche de relations personnelles et clientélistes ».

Les idées simples et courtes ne sont pas les meilleures. Et aller faire «boum-boum» au nord du Mali fait partie des idées simples. Il est possible qu'au bout de la démarche politique, il soit nécessaire de recourir aux moyens militaires. Mais ces derniers ne remplacent pas le processus politique, ils peuvent l'appuyer en dernier recours. «Il convient de ne pas céder aux appels belliqueux et de poursuivre les initiatives de règlement politique du conflit déjà entamées, sans pour autant négliger les questions sécuritaires», indique Crisis Group. C'est du bon sens. Tout comme il y en a dans la mise en garde adressée aux pays de la Cédéao qui se disent prêts à envoyer des troupes. Ces pays-là, avertit l'ONG, n'appréhendent pas correctement la complexité des réalités sociales du nord du Mali et sous-estiment les risques de règlements de comptes intercommunautaires.

Le Mali deviendrait en cas d'intervention armée externe un «nouveau front de la guerre contre la terreur » aux dépens des revendications politiques exprimées depuis des décennies au Nord, et au risque de rendre illusoire toute possibilité de nouvelle cohabitation pacifique des différentes communautés. Ce document est d'autant plus intéressant qu'il recommande au gouvernement algérien de mettre fin à «l'ambiguïté» de sa perception sur «la gravité de la menace collective régionale que constitue la présence de groupes armés irréguliers dans le Nord-Mali» et de «donner un signal clair de soutien à la restauration de la souveraineté du Mali sur l'intégralité de son territoire». L'Algérie gagnerait à répondre à cette perception «d'ambiguïté» évoquée par Crisis Group. Elle peut d'autant plus le faire que sa démarche fondée sur la recherche d'une solution est très largement appuyée par ce rapport.