L'Assemblée du peuple égyptienne, dissoute mi-juin, s'est réunie hier
matin après un décret du président islamiste, Mohamed Morsi, ordonnant son
rétablissement, défiant ainsi l'armée et la justice sur fond de crise politique
et judiciaire. «Ce dont nous discutons aujourd'hui, c'est du mécanisme
d'application» du jugement de la Haute cour constitutionnelle (HCC) qui a
déclaré l'Assemblée invalide, a déclaré, à l'ouverture de la session, le président
de la chambre basse, le Frère musulman Saad Al-Katatni. «Le Parlement connaît
très bien ses droits et ses devoirs et n'intervient pas dans les affaires du
pouvoir judiciaire», a-t-il ajouté, en assurant que les élus respectaient la
justice et la loi. «Nous ne sommes pas en contradiction avec le jugement» de la
HCC, a-t-il insisté avant de lever la session. La position de M. Katatni est
conforme à celle de la présidence, pour qui le décret de M. Morsi, également
issu des Frères musulmans, «ne contredit ni ne contrevient au jugement de la
Cour constitutionnelle», car ce dernier peut ne pas être «immédiatement»
appliqué. Le nouveau président égyptien a ordonné, dimanche, par décret le
rétablissement du Parlement. Mais la HCC, qui avait jugé l'Assemblée invalide
le 14 juin en raison d'un vice juridique dans la loi électorale, a rejeté cette
décision, affirmant que ses jugements étaient «définitifs et contraignants pour
toutes les institutions de l'Etat». M. Katatni a indiqué dans un communiqué que
le Parlement avait renvoyé l'affaire de l'invalidation de la chambre basse
devant la Cour de cassation. La HCC, pour sa part, examinait des plaintes
déposées contre le décret présidentiel. Les députés des Frères musulmans et des
fondamentalistes salafistes, qui dominent l'Assemblée, étaient présents hier,
mais les élus d'autres partis, notamment libéraux, ont boycotté la session,
certains qualifiant le décret de M. Morsi de «coup d'Etat constitutionnel».
Place Tahrir, dans le centre du Caire, des centaines de personnes ont manifesté
leur soutien à M. Morsi en criant «A bas le pouvoir militaire», tandis que
devant le palais présidentiel, ce sont ses opposants qui protestaient contre le
décret.
Après la dissolution de l'Assemblée, les militaires -à qui Hosni
Moubarak, chassé par la rue en février 2011, avait remis les rênes du pays- ont
récupéré le pouvoir législatif, provoquant la colère de ceux qui veulent les
voir sortir de la politique. L'armée a appelé lundi au respect de «la loi et de
la Constitution». Ces derniers développements illustrent l'épreuve de force
engagée entre le nouveau président et le Conseil suprême des forces armées
(CSFA), surtout après l'adoption par les militaires d'une «Déclaration
constitutionnelle complémentaire» qui a considérablement affaibli la fonction
présidentielle. Les Frères musulmans avaient accusé les militaires d'avoir
orchestré la dissolution du Parlement pour s'adjuger le pouvoir législatif,
dénonçant un véritable «coup d'Etat». La HCC a assuré qu'elle «n'était partie
prenante dans aucune lutte politique» et que sa mission était de «protéger» la
Constitution. Elle est néanmoins accusée par plusieurs groupes et hommes
politiques d'être biaisée. La secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton,
qui doit rencontrer M. Morsi ce week-end, a réclamé un «dialogue intensif entre
tous les protagonistes» en Egypte, tandis que le ministre allemand des Affaires
étrangères, Guido Westerwelle, s'est dit confiant que l'Egypte surmonterait la
crise. «J'ai l'impression qu'une solution peut être trouvée», a dit M.
Westerwelle après un entretien avec M. Morsi. «Il n'y a toujours pas de
garantie que le chemin vers la démocratie sera couronné de succès mais nous
voulons faire ce que nous pouvons pour assurer son succès».