Ecrire quelque chose de positif. Qu'est-ce qui est positif
? Ce qui est normal va dans le sens du mieux, prend la main du cœur et fait
sourire le visage, donne un sentiment de fierté et une sensation d'accord.
Quelque chose qui ne peut pas être critiquée, qui est sublime ou, au moins,
louable. Où ? En sortant le matin, en prenant le bus, dans un café, chez-soi, à
la télé, chez le voisin, dans sa propre mémoire, à la plage. Enquête donc sur quelque
chose de positif : mais où ? L'exercice national est à l'écriture de la plus
vaste encyclopédie du pessimisme au monde. On y retrouve la biographie des
feuilles mortes, les animaux écrasés de chagrin et des enregistrements de
youyous démentis par les années 90. C'est qu'en effet, la sincérité est plus
proche, chez nous, de la dénégation que de la louange. La cause ?
Traditionnelle : le régime a pris le monopole du louange qu'il impose, récite
et fait réciter dans son ENTV. Du coup, l'adversaire, c'est-à-dire nous, assis,
debout ou tournant le dos à l'espèce humaine, a pris celui du déni. Le chiffre
ment ? Donc l'avis dénigre. Les statistiques sont une arnaque ? Donc les
impressions sont une vérité. Le Pouvoir force à dire merci ? La rue se plaît à
répéter l'insulte. Donc où trouver quelque chose de positif ici ? Dans quelques
anecdotes de l'honneur : l'Algérien peut vous griller votre priorité, mais est
capable de vous donner sa voiture. Il peut suspendre le drapeau de la France à
cause d'une liste de logements où son nom ne figure pas. Mais peut coudre le
drapeau national sur sa peau, quand il se sent appelé par la terre et le ciel à
dire qui il est. Autre chose ? La générosité. L'Algérien alpha peut vous
refuser 200 da pour un ascenseur, mais peut acheter l'ascenseur et le donner à
une vieille femme malade dans un accès de grandeur intime. Le basculement entre
le ricanement et le sens du martyr est rapide, surprenant souvent.
Mais là, il s'agit de pays, pas de nos émotions. Qu'est-ce
qu'il y a de positif en Algérie ? Exactement ce que la colonisation française a
décidé que «c'est positif» dans la colonisation : les routes, les écoles, les
hôpitaux, les robinets et le droit d'avoir des chaussures. Le décolonisateur
n'a pas d'autres rêves pour les siens que celui du colon pour les siens, aussi.
Pas d'autres plans que le plan de Constantine, partout. La déclaration du 1er
Novembre n'a pas écrit, cependant, que le bonheur est un but. Seulement la
Libération. Du coup, le mot bonheur est devenu synonyme de développement.
Surtout statistique. «Combien d'écoles ?», remplace «combien d'écoliers ont
inventé un vaccin ?». «Combien de routes ?» remplace la question de «où
mènent-elles ?». Du point de vue des chiffres, la décolonisation a été
«positive». Sauf qu'on est triste, on n'est pas le premier pays d'Afrique et on
se sent vieux et on est en colère et tout le monde veut partir et il n'y a
presque pas d'amour heureux et les islamistes rongent le pays comme de la
rouille. Autant de choses qui ne s'expriment pas en chiffres. Car le chiffre va
bien en Algérie. C'est l'émotion qui est malade. On mange mieux, mais on rêve
mal. On est libre mais ce n'est pas amusant. Presque tout est gratuit mais du
coup la vie l'est un peu aussi. Quelque chose de positif à écrire en Algérie
sur soi et les siens ? Oui : Cela se passe entre nous. Pour une fois depuis des
siècles et des siècles.