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Rabat-MENA, la Banque mondiale reconfigure la gouvernance par contexte révolutionnaire

par El Kadi Ihsane, Envoye Special A Rabat

Les transitions politiques ouvertes par le printemps arabe ont fait bouger les lignes de ce que doit être une «bonne gouvernance». Un concept longtemps confiné à l'exercice strictement économique qui prend un sens plus «intégral» au lendemain de la chute de régimes jugés bons élèves à la Banque mondiale. Séance de mise à jour à Rabat lors d'un séminaire sur le thème des transitions et de la gouvernance dans la région Moyen-Orient

et l'Afrique du Nord (MENA).

La Banque mondiale a reconnu, lundi à Rabat, avoir eu par le passé une «vision limitée» des outils de la bonne gouvernance dans la région de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Lors de la séance inaugurale du séminaire sur les transitions et réformes de la gouvernance dans la région, Simon Gray, directeur Maghreb à la Banque mondiale, a admis que les derniers événements dans la région ont montré que l'approche strictement économique des critères de bonne gouvernance n'était pas suffisante. «La bonne gouvernance, c'est beaucoup plus que de savoir si les dépenses budgétaires ont été efficaces. C'est la participation des citoyens à la décision dans la vie publique», a-t-il précisé. Le cadre de la Banque mondiale s'est défendu dans le même temps d'une immixtion de son institution dans la vie politique des pays. «Il s'agit de quelque chose qui touche à l'exercice des responsabilités publiques et du lien avec l'opinion, de la redevabilité», a-t-il expliqué.

Le printemps arabe a soufflé l'ancienne approche de la Banque mondiale qui donnait des satisfecit à la Tunisie de Ben Ali et à l'Egypte de Moubarak sur des critères de souplesse administrative dans le Doing Business. Le ministre marocain de la Gouvernance et des Affaires générales, Mohamed Boulif, est venu donner le ton dès l'ouverture du séminaire en exposant l'agenda de son gouvernement pour réformer la gouvernance au Maroc. La plupart des réformes prévues sont une traduction des dispositions de la nouvelle Constitution de juillet 2011, notamment le chapitre consacré aux institutions de la gouvernance. L'exécutif marocain conduit par les islamistes modérés du PJD s'est déjà attelé, selon Mohamed Boulif, à faire de la modernisation des outils de la gouvernance son chantier prioritaire. La plus grande participation des citoyens à la vie publique est au cœur de la réforme, avec l'accès à l'information et la transparence dans les affaires publiques. Mais l'efficacité de la dépense publique n'est pas en reste. Le ministre marocain a rappelé qu'une réforme des finances publiques est prévue en 2012 qui va répartir le budget de l'Etat non plus seulement selon l'approche sectorielle des besoins mais plus par celle des résultats obtenus par le secteur.

ROUMANIE-TUNISIE, RESONANCE REVOLUTIONNAIRE

«Une transition réussie est une transition qui ouvre de meilleures perspectives pour une majorité de la population», a déclaré Petre Roman, ancien Premier ministre roumain et acteur de la révolution qui a mis à bas en 1989 le régime de Ceausescu. Il était au séminaire de la Banque mondiale de Rabat pour témoigner des erreurs qu'il faut éviter pour réussir sa transition. Le premier prérequis, explique-t-il, est de construire un consensus politique. Le second, plus compliqué, est de le conserver suffisamment longtemps pour que les réformes ne «discontinuent pas». Petre Roman, Premier ministre dès le 27 décembre 1989, a réussi à produire un document stratégique sur la démarche à suivre pour la révolution roumaine «auquel ont participé 4.000 experts roumains aidés de 400 experts étrangers». Un document qui a emporté l'unanimité du nouveau parlement démocratique de mai 1990 et jeté les bases consensuelles du passage à l'économie de marché et aux institutions de la citoyenneté. «Gérer les énormes attentes de l'élan populaire est la tâche la plus difficile dans la conduite d'une transition» en contexte de rupture révolutionnaire. Une situation qui a résonné dans le séminaire de la Banque mondiale, avec la conjoncture tunisienne. Petre Roman a donc dû répondre aux appréhensions de la délégation tunisienne plurielle, au sujet des pièges de la transition: comment traiter les anciennes institutions ? Comment organiser la liberté de la presse ? Traquer la nouvelle corruption ? «La transparence dans les dépenses publiques est fondamentale, a répété plusieurs fois l'ancien Premier ministre roumain, la politique affairiste est le plus grand danger pour la transition». Il a déploré l'incapacité de son gouvernement à empêcher que «la corruption s'insinue». De même, il faut bien comprendre que la gouvernance peut se donner une feuille de route et des outils, mais que la réalité du rapport de force politique est toujours prégnante. Ainsi à la sortie de l'ère communiste «très lourde» de Ceausescu, les révolutionnaires pensaient faire de la loi sur la propriété la première des réformes de la transition. «20 années après le problème de la restitution des terres et des biens immobiliers n'était toujours pas vraiment réglé», a déclaré Petre Roman précisant qu'il était «très optimiste» pour les processus en cours dans les pays de la région.