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«La plaie des halles centrales va-t-elle se refermer sans laisser de
cicatrices ?» Cette interrogation, pleine de sagesse, sort entre deux soupirs de
la bouche d'un vieux mandataire illettré.
Contemplant la grosse carcasse aux quatre voûtes au milieu d'un paysage de décombres, ce vétéran du commerce de gros de fruits et légumes ajoute avec une pointe d'amertume : «C'est bien dommage qu'on soit arrivé à ne pouvoir délocaliser l'activité qu'après la démolition de cet édifice qui a mon âge». Dans les paroles de cet homme, il n'y a pas que le regret mélancolique de la chose révolue. Il y a aussi un certain sens de pragmatisme. Car, il est vrai, bien qu'elle ait été inévitable, l'éradication du marché de gros de l'intérieur de la ville aura un coût. Social, surtout. Il est connu en fait que ce n'étaient pas seuls les 194 mandataires transférés vers la nouvelle structure d'El-Kerma qui gagnaient leur pain dans les halles centrales de l'avenue Chakib Arslan. Cette catégorie, qu'on peut classer dans la rubrique «légale» car justifiant d'un registre de commerce et d'un contrat de location, représente plutôt une minorité à côté du nombre global des personnes qui gagnaient leur vie en exerçant un travail direct ou indirect dans le désormais ancien marché de gros de fruits et légumes. Il y a aussi environ 200 mandataires «sans papiers» qui activaient dans des locaux situés dans les alentours immédiats des halles, y compris dans des garages d'habitations aménagés en dépôts. Au fil des ans, l'enceinte des halles, bâties en 1945, a été de plus en plus encombrée par l'activité tentaculaire. La voie publique et l'immobilier urbain qui ceinturent les 4 hectares du marché y ont été annexés par la force des choses. Noyées donc par les hangars de fortune qui gravitent autour, les halles couvertes ne sont devenues qu'une partie du marché, sans pour autant perdre leur position et leur fonction centrales. Clandestins ? Le mot est trop fort, trop sévère, à l'égard de cette catégorie. C'est même inexact et injuste quant à certains parmi ces 200 mandataires. «Cette catégorie est disparate. Vous avez les nouveaux débarqués qui se sont appropriés un carré à l'intérieur des halles ou dans l'espace mitoyen, par désistement ou sous-location le plus souvent. Quand je dis nouveaux débarqués, j'entends entre 10 ans et 6 mois. Il y a surtout les mandataires autochtones, les vrais de vrai. Des légumiers de père en fils. Nombre parmi ceux-ci n'ont pas malheureusement de papiers. Quand la rumeur de la délocalisation des halles centrales a pris un tour sérieux, début 2005, ces gens ont cru qu'ils allaient être régularisés à posteriori à la faveur d'une enquête sur terrain par les autorités publiques. C'était trop naïf de leur part. Il fallait se régulariser soi-même pour prétendre à un box au nouveau marché d'El-Kerma, comme l'ont fait d'ailleurs les nouveaux arrivants, plus malins. Il est vrai que nul n'est censé ignorer la loi et que seuls les documents font foi devant l'administration, mais il y a là indiscutablement des injustices, des inégalités», estime un mandataire qui a pignon sur la rue longeant les halles, lequel a dû s'associer à un «petit» marchand, sans moyens financiers ni outils de travail (balance, caisses et emballage, etc.) mais qui possède l'essentiel (la paperasse), pour poursuivre son activité à El-Kerma. Son voisin pose un problème d'un autre genre. «Tenez, regardez l'arrière-boutique, elle est si vaste mais elle contient à peine les cageots. J'ai ici 200 m² et je suis pourtant un peu à l'étroit. Qu'en sera-t-il là-bas (au marché d'El-Kerma) où le box fait en tout et pour tout 70 m². Autre point, pour la pastèque, puisque c'est la saison, nous avons demandé l'aménagement de carrés pour le déchargement et le chargement, car ce fruit prend de l'espace. Il n'y en a pas. C'est un vrai problème d'autant que la vente directe de camion en camion est interdite, contrairement à ce qui se faisait couramment ici. Les horaires, eux aussi, posent un souci. La décision d'ouverture du marché de 4h à 10h est irréfléchie. Elle ne tient compte ni de l'éloignement du marché et de l'indisponibilité du transport pour rallier ce point par une bretelle de l'autoroute Est-Ouest ni du côté pratique du négoce. Il faut savoir qu'Oran ne produit pas et qu'elle dépend des wilayas limitrophes en grande partie. Donc, l'approvisionnement doit se faire très tôt et la vente aux détaillants avant 10h, ce qui n'est pas évident. Ceci d'autant que la capacité de stockage est réduite et que certains fruits rapidement périssables doivent être achetés et vendus dans la même journée». Sans vouloir caricaturer, mercredi, l'opération de démolition des halles faisait disparaître en même temps des centaines de gagne-pains, asséchant dans une poignée de minutes une source de subvention vieille de plus d'un demi-siècle pour autant de familles oranaises. «Vous avez la moitié des jeunes de Cité Petit, de Choupot, d'Eckmühl, pour ne citer que ces quartiers avoisinants, qui se nourrissaient de ce marché réduit en décombres. Il y en a qui y gagnaient leur croûte en poussant des charrettes, ceux qui chargeaient et déchargeaient les camions, des maraîchers qui vendaient le produit de leurs potagers sur le trottoir à côté des marchands d'herbes, ceux qui vendaient ou louaient par consigne les articles d'emballage, ceux qui parquaient les véhicules, etc. Il y a aussi les employés de l'entreprise gestionnaire. De ce tout petit monde, que va-t-il advenir ? Certes, la création d'un marché de gros moderne pour les fruits et légumes comme un outil destiné à organiser et concentrer les activités des opérateurs au stade de gros pour améliorer la productivité des circuits de distribution des produits agricoles et pour l'approvisionnement de la wilaya d'Oran ne pouvait s'opérer sans la délocalisation des anciennes halles centrales de la ville. Le nouveau marché d'El-Kerma, c'est aussi une base logistique, adaptée aux besoins des opérateurs, pour organiser l'approvisionnement des produits frais, la préparation des commandes et la livraison aux détaillants, restaurateurs, institutions, etc. «C'est le prix de la modernisation», diront certains. «Mais c'est aussi la facture à payer de plusieurs années de gestion caduque du circuit du commerce de gros et, par ricochet, du marché de l'emploi», lui répliqueront d'autres. Ainsi, après une longue série de reports, le nouveau marché de gros de fruits et légumes, implanté à El-Kerma, s'ouvrira aujourd'hui. Les portes de ce marché ouvriront bel et bien aujourd'hui, a confirmé le directeur de l'entreprise gestionnaire. Il faut noter que la mise en service de ce marché, retardée par l'opération de démolition des halles centrales, intervient suite aux injonctions du premier chef de l'exécutif de wilaya, qui, agacé par les ajournements à répétition de la mise en fonction de cette structure publique, a donné un ultimatum aux responsables en charge de ce dossier, rappelle-t-on. Selon le directeur de l'Epic de gestion, «tout est prêt pour la mise en marche de cet équipement dédié au commerce de gros de fruits et légumes», qui connaît l'installation au fur et à mesure des 194 mandataires transférés, en attendant l'affectation du reste au niveau des neuf hangars disposant d'un total de 216 box. |
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