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Le vœu de l'ex-président français, Nicola Sarkozy, de stigmatiser
l'immigration a remporté, jeudi dernier, le vote des ministres de l'Intérieur
de l'Union. Le risque d'un clash institutionnel en Europe n'est pas à exclure.
Alors que la question sur l'adoption d'une stratégie commune de sortie de crise, telle celle d'un pacte de croissance, n'est pas encore tranchée définitivement, voilà revenue à l'ordre du jour celle de l'immigration qui complique, un peu plus, le fonctionnement institutionnel de l'Union européenne. Jeudi dernier, à Luxembourg, les ministres de l'Intérieur de l'UE ont adopté à «l'unanimité» la révision de l'accord Schengen par l'introduction d'une clause sur le «rétablissement des contrôles de la libre circulation aux frontières internes» des pays de l'Union. Ainsi, le projet commun franco-allemand, de l'ère Sarkozy en France, a survécu à sa défaite électorale du 6 mai dernier. On se souvient de la lettre adressée, en avril dernier, à la présidence danoise de l'union par l'ex-ministre de l'Intérieur français, Claude Géant, cosignée par son homologue allemand, Hans-Peter Friedrich, par laquelle ils demandaient de rendre certains pouvoirs de la Commission européenne aux Etats membres, afin qu'ils puissent réinstaurer le contrôle à leurs frontières internes et de pouvoir rapatrier les immigrés clandestins, particulièrement ceux en provenance de Grèce. La lettre en question avait soulevé une suite de réactions négatives des Institutions européenne (Commission et Parlement), ainsi que de la quasi-totalité des associations civiles et de droits de l'homme. On pensait l'initiative française sans avenir. Pourtant, ce jeudi 7 juin, les ministres de l'Intérieur de l'UE ont franchi le pas en adoptant la mesure en question. Tout de suite après son adoption, la Commission et le Parlement européens ont manifesté leur réprobation et ont estimé que cela porte un sérieux coup à la cohésion du fonctionnement des Institutions européennes. Et pour cause, l'adoption d'une telle mesure requiert, selon le Traité de l'Union, la «concertation» au préalable des trois Institutions : Commission, Parlement et Conseil, soit un vote de codécision. En ignorant la procédure, le Conseil des ministres de l'Intérieur a enfreint une règle juridique essentielle du fonctionnement de l'UE. D'ailleurs, lundi prochain (11 juin), la Commission des libertés civiles du PE se réunira (la réunion était programmée de longue date) pour étudier et voter le paquet «gouvernance de Schengen». Il est clair que le Conseil des ministres de l'Intérieur de jeudi a prévu de «court-circuiter» la Commission parlementaire. Cette dernière a, d'ores et déjà, appelé la présidence tournante de l'UE, le Danemark, à se prononcer sur la question et avancer une proposition. Quant à la Commission européenne, qui avait mis en veilleuse la demande franco-allemande d'avril, elle est mise «en demeure» de réagir immédiatement par un projet de texte sur cette même question. Entendu qu'avant d'émettre toute initiative au nom de l'Union, la Commission de Bruxelles use de la concertation et des avis de l'ensemble des 27 membres de l'Union. On est en droit de croire que la décision du 7 juin provoquera plus de querelles qu'elle ne veut en régler. Tous les groupes politiques du Parlement ont manifesté leur incompréhension. Celui du groupe libéral, le belge Guy Verhofstadt, a déclaré «en prenant cette décision, le Conseil des ministres de l'Intérieur envoie un signal clair, à savoir qu'ils chercheront toujours des excuses pour fermer les frontières, tout comme ils nous ferment la porte?Nous ne pouvons accepter cela. Le Parlement décidera d'entamer ou non une action en justice contre le Conseil». Quant au président du PE, l'Allemand Martin Schulz, il a annoncé que : «Le Parlement européen est, profondément, déçu du comportement unilatéral et contreproductif du Conseil justice et affaires intérieures». Le PE affirme aussi qu'il «n'acceptera aucune raison de réinstaurer des contrôles aux frontières, sans un mécanisme fondé sur la communauté visant à évaluer et à garantir la nécessité de telles mesures». En effet, il semblerait que le vote du Conseil des ministres de jeudi obéit plus à une attitude d'opportunisme démagogique en ces moments de crise multiple en Europe que d'une décision justifiée et argumentée politiquement et juridiquement s'entend. Car au fond, et comme le prévoit le Traité de Lisbonne, la fermeture des frontières internes d'un Etat n'est possible qu'en cas de menace grave sur la sécurité interne du dit pays. L'on se souvient que toute cette histoire trouve son origine dans les conséquences des soulèvements populaires en Tunisie et en Libye de l'hiver et printemps 2011, soutenues et encouragées par l'UE. Quelques 30 mille réfugiés fuyant, particulièrement, les bombardements en Libye avaient accosté sur les côtes italiennes et grecques. 30 mille réfugiés ont mis, grâce à l'alarmisme de l'ex-président Français Nicola Sarkozy, l'Europe entière dans une situation de «guerre contre l'immigration» d'une manière générale. L'Europe confrontée à une sérieuse crise économique et financière n'avait pas besoin d'une énième querelle institutionnelle. Les immigrés ne sont pas à l'origine de la crise européenne. Que du contraire, ils lui apportent une plus value financière chiffrée et reconnue par tous les organismes d'évaluation économique européens. |
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