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Standard and Poor's trouble la Tunisie en abaissant sa note souveraine

par Anouk Ledran A Tunis

Depuis l'annonce, le 23 mai, de la dégradation de la note de la dette tunisienne à long terme par l'agence de notation Standard and Poor's, les réactions se succèdent dans la sphère politique et économique. Les autorités tentent de relativiser l'impact de cette dégradation? sur l'économie nationale, tandis que la plupart des analystes s'inquiètent? et fustigent le gouvernement.

« Une très mauvaise nouvelle qui peut avoir des conséquences graves». Le 24 mai, sur le site d'information en ligne Leaders, Elyès Jouini, éphémère ministre chargé des réformes économiques et sociales après le départ de Ben Ali, réagissait à la décision de l'agence de notation Standard and Poor's, de réduire de deux crans à BB la note de la dette à long terme de la Tunisie. Comme lui, nombre d'analystes s'alarment d'une dégradation qui relègue le pays dans la catégorie des emprunteurs spéculatifs, l'estimant néanmoins justifiée par la dégradation des indicateurs économiques. Sur les marchés financiers, «cela implique une plus grande aversion envers la Tunisie, qui se manifestera à travers des taux d'intérêt plus élevés mais aussi des souscriptions plus faibles pour les futures émissions tunisiennes, pouvant devenir un obstacle au refinancement de la dette dans les scénarios les plus pessimistes», développe Elyès Jouini. Sur le même support, Jaber Chebbi, docteur en finance internationale, fait le calcul et prédit des effets négatifs pour tous les acteurs économiques tunisiens. «La dégradation de la notation va augmenter les taux d'emprunt de la Tunisie, écrit-il. Or, une hausse des taux de 1 point de pourcentage représenterait pour la Tunisie un surcoût très important et qui va accroître le déficit budgétaire. Les conditions d'emprunt devraient aussi se durcir pour les entreprises publiques, les assurances et les banques. Les ménages pourront avoir une hausse conséquente à moyen terme sur les crédits immobiliers et les crédits à la consommation».

LES AUTORITES RELATIVISENT

Les analystes craignent aussi la «baisse des investissements directs étrangers (IDE) qui vont s'orienter plus vers des pays émergents plus stables comme le Maroc, la Turquie», selon les mots de Jaber Chebbi. «Les agences de crédit export (COFACE, SACE, ECGD, etc.), qui fournissent des garanties aux entreprises étrangères qui investissent en Tunisie, se fient également aux avis des agences de notation», explique Elyès Jouini. Il prévient: «Une baisse des investissements peut s'avérer très grave étant donné la fragilité du contexte actuel». Les autorités s'échinent quant à elles à relativiser l'impact de cette dégradation sur l'économie nationale. Ridha Saidi, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé du dossier économique, a assuré, le 25 mai, au cours de la rencontre périodique de la cellule de communication de la présidence du gouvernement, qu'elle risquait d'augmenter le coût de la dette tunisienne souscrite sur le marché financier international, mais n'influencerait pas la capacité du pays à mobiliser des ressources financières extérieures, la Tunisie se référant essentiellement aux conventions bilatérales signées avec l'Union européenne (UE), la Banque mondiale (BM) et la Banque africaine de développement (Bad), pour lever des capitaux. Un point aussi soulevé par Abdessatar Mabkhout, économiste et consultant, qui minimise, dans une interview publiée sur gnet le 26 mai, les effets de l'abaissement de la note de la dette tunisienne. «C'est exagéré de dire que c'est grave, déclare-t-il. Cet abaissement serait grave dans un pays qui fonctionne et qui se finance par les marchés [?]. Dans le cas de la Tunisie, la majorité des dettes, soit les 2/3, sont contractées auprès des banques et des pays, seul un 1/3 à peu près provient des marchés internationaux. L'impact est donc indirect».

«STANDARD ANS POOR'S NE PUNIRA PAS LE PEUPLE?»

Ridha Saidi met aussi l'accent sur l'amélioration des indicateurs économiques en 2012, notant que l'évaluation de S&P se base sur les chiffres de 2011. Selon l'Institut national de la statistique (INS), le pays a enregistré une croissance de 1,2% pendant le premier trimestre 2012 par rapport au dernier trimestre de 2011 et de 4,8% en comparaison avec la même période de 2011. «Certains indicateurs économiques du pays, enregistrés au cours des premiers mois de 2012, ont connu une évolution remarquable par rapport à la même période de l'année écoulée», plaide aussi le ministre des Finances Houcine Dimassi, estimant dans une déclaration à l'agence TAP que l'abaissement de la note de la dette tunisienne n'est pas fondé sur des critères objectifs, mais «sur des critères relatifs à la faible visibilité politique». Ayoub Massoudi, conseiller principal auprès du président de la République, chargé de l'Information, va plus loin en mettant en doute la crédibilité de Standard & Poor's et l'indépendance des agences de notation, dans un article intitulé «Non, Standard and Poor's ne punira pas le peuple qui s'est révolté», publié notamment sur son blog. Observateurs et politiques fustigent quant à eux l'action du gouvernement. «Le pays souffre de l'absence d'une vision claire de nature à prévenir et entrevoir l'avenir immédiat et lointain», estime dans Le Temps Abdeljelil Bedoui, économiste et vice-président de la Voie Démocratique et Sociale (VDS). «Ceux qui sont au pouvoir sont en train de faire des choses non conformes à la réalité économique du pays, comme l'indemnisation des anciens prisonniers pour la somme de 750 millions de dinars, poursuit-il. Le Gouvernement est pléthorique (...)». «Espérons que cela pourra contribuer à ce que les autorités prennent enfin conscience des conséquences qu'entraîne le manque de visibilité politique et économique et les poussera à être plus proactifs... Il est plus que temps de mettre fin à l'amateurisme et à l'inaction!», conclut Elyès Jouini. Une réunion était prévue, hier, lundi 28 mai, entre le chef du gouvernement Hamadi Jebali, le ministre des Finances Houcine Dimassi et le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, BCT, Mustapha Kamel Nabli tandis que des rumeurs insistantes évoquent son remplacement.