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L'armée appelle les Egyptiens à «accepter les résultats» : Une présidentielle ouverte et de grosses inquiétudes

par Salem Ferdi



50 millions d'électeurs égyptiens prennent, aujourd'hui et demain, le chemin des urnes pour désigner un président de la république.

Pour la première fois en soixante ans, le résultat de l'élection n'est pas connu d'avance et les incertitudes sont pesantes.

Le scrutin pourrait ne pas être tranché au premier tour d'une élection à laquelle concourent douze candidats avec un quatuor de personnalités de l'ancien régime et islamistes en pole position : l'ancien chef de la Ligue arabe Amr Moussa, le dernier Premier ministre de M. Moubarak Ahmed Chafiq, l'islamiste indépendant Abdel Moneim Aboul Foutouh et le candidat des Frères musulmans Mohammed Morsi. Dans le cas où aucun candidat n'obtient la majorité absolue, un second tour sera organisé les 16 et 17 juin entre les deux premiers. Dans un pays où une partie de la population veut un retour à la stabilité, mais où une autre partie est défiante à l'égard des dirigeants de l'armée, accusés de s'accrocher au pouvoir et de vouloir garder la main sur l'Egypte, les lendemains de vote sont incertains. Les islamistes qui ont déjà remporté la mise au cours des législatives ; pensent pouvoir capitaliser leur succès même s'ils sont divisés entre le candidat officiel des Frères Musulmans Mohammed Morsi, et celle du « dissident » Abdelmoneim Aboul Foutouh. A priori, même le camp des partisans de « l'ordre » n'a pas une candidature unique puisque deux anciens du régime, Amr Moussa et Ahmed Chafiq sont en lice. Un passage au premier tour d'un des « candidats de l'ordre » non islamiste risque de susciter l'incrédulité générale et probablement des tensions.

RESPECTER LA «VOLONTE DES AUTRES»

C'est sans doute devant cette incertitude sur la manière dont sera appréhendée une élection présidentielle qui n'a pas de précédent dans l'histoire égyptienne qui a poussé les militaires à prendre les devants. Le premier ministre Kamel al-Ganzouri a appelé, hier, les égyptiens à demeurer unis « pour assurer la réussite de ce processus électoral et accepter la décision de la majorité qui sortira des urnes». Il a souhaité que l'élection se « déroule dans le calme » tout en appelant les candidats et forces politiques «à demander à leurs partisans de respecter la volonté des autres». C'est exactement le même message, non dépourvu d'appréhensions, qui a été délivré par le Conseil suprême des forces armées (CSFA) qui détient la réalité du pouvoir. Les dirigeants de l'armée ont ainsi souligné « l'importance d'accepter les résultats de l'élection qui reflèteront le choix du peuple égyptien libre ». Théoriquement, cette élection devrait être le moment d'un transfert de pouvoir détenu par l'armée, à travers le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, inamovible ministre de la défense de Moubarak pendant deux décennies, aux civils. Mais la question ne se limite pas à « qui » sera le prochain président de la république égyptienne. Quel sera son pouvoir est une question d'autant plus importante que le pays est toujours sans constitution ? Celle-ci devra non seulement déterminer la place qui sera accordée à la Charia mais également la nature présidentielle ou parlementaire du système politique.

QUEL ROLE A L'ARMEE ?

Outre ces questions sensibles, il reste aussi à déterminer le rôle de l'armée-dont Moubarak était le chef ? qui a constitué le pilier du régime. Et qui a des intérêts économiques importants à défendre qui vont, pour reprendre une analyse de Reuters « du complexe militaro-industriel aux usines d'embouteillage d'eau minérale, que de moyens militaires garantis par un budget secret et une aide américaine annuelle d'1,3 milliard de dollars - rançon de l'accord de paix égypto-israélien de Camp David ». Les militaires qui suscitent plus que de la suspicion chez les jeunes révolutionnaires de la place Al-Tahrir accepteront-ils en cas d'une victoire-qui parait très possible - d'un candidat islamiste de perdre leur rôle politique prépondérant ? Les Frères Musulmans qui jouent sur l'ambiguïté ont montré parfois une disponibilité à conclure des arrangements avec l'armée, incarnation du système en place ; mais certains de leurs dirigeants sont plus catégoriques, à l'image de Essam el Erian, qui a déclaré qu'il est hors de question de permettre « à l'armée de jouer un rôle politique » à l'avenir. Il reste qu'il estime, de manière réaliste, que le processus de «démilitarisation de l'Etat» prendrait du temps pour éviter «une confrontation frontale». Le pire n'est jamais certain. Mais il est difficile de croire que cette élection présidentielle, où se posent des questions politiques cruciales puisse constituer la fin d'un parcours transitionnel.