|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
En choisissant de rendre hommage le jour de son
investiture à Jules Ferry, le nouveau Président français, François Hollande, a
choisi de mettre en valeur un homme qui a marqué de son empreinte l'école
française. Mais il ne pouvait ignorer que cet hommage heurterait les
antiracistes et les anticolonialistes. Il a donc noté, de manière concise, sans
trop s'étendre, que la défense de la colonisation par Jules Ferry fut une
«faute morale et politique» et «qu'elle doit à ce titre être condamnée».
Il n'est pas certain que cette nuance soit suffisante pour ceux qui, en France et à l'étranger, ont été surpris par cet hommage. Jules Ferry est l'une de ces nombreuses figures du panthéon républicain français en tant que père de l'école publique laïque et obligatoire. Mais cet homme fut aussi un vrai raciste, un colonialiste et un fervent avocat de la mission civilisatrice qui avait été contestée, de son vivant, par les forces progressistes de son pays. Certes, François Hollande a pris soin de condamner cet aspect du personnage en mettant en exergue l'homme qui a permis à des millions de Français de bénéficier d'une éducation dont ils étaient jusqu'alors privés. On peut dire que c'est le moins qu'il aurait pu faire. Occulter totalement cet aspect aurait été plus qu'une maladresse, une faute politique. Avec cette remarque, les apparences sont sauves. Il reste que ce choix de célébrer Jules Ferry illustre bien toute l'ambiguïté de la gauche institutionnelle française, communiste ou sociale-démocrate, dont le discours humaniste et réformiste a été très souvent, au cours de l'histoire, contredit par des orientations coloniales et clairement discriminatoires. L'incapacité d'une partie des élites françaises à établir un bilan critique d'une République sacralisée a permis la commission de fautes politiques graves. Il ne faut pas occulter non plus que Jules Ferry, revendiqué au nom d'une lecture très politicienne de la laïcité, sert à légitimer une bonne partie du discours actuel de l'islamophobie. C'est au nom d'une conception guerrière de la laïcité que la gauche française a été à l'origine de l'offensive contre les signes religieux «ostentatoires», visant directement les musulmanes affichant leurs convictions. Et c'est au nom de cette conception qu'elle a soutenu des régimes liberticides, comme celui de Ben Ali en Tunisie. On se souvient également des propos de Pierre Mauroy, alors Premier ministre, dénonçant des musulmans chiites (?) maghrébins accusés d'être les meneurs de la grève des usines Citroën d'Aulnay-sous-Bois au début des années 80. Il ne s'agit pas de dire que la gauche et la droite, c'est du «kif-kif» dans ce domaine, ce serait injuste. Mais la droite a très clairement repris et amplifié un vieux discours laïcard, non soumis à inventaire, qui fait consensus à gauche. La distance affichée par François Hollande vis-à-vis de la «part d'ombre» de Jules Ferry n'efface pas une sensation de malaise si l'on se réfère au climat politique français rendu empoisonné par les surenchères islamophobes. Des surenchères qui ont connu leur apogée au cours de la peu glorieuse campagne électorale de Nicolas Sarkozy. Il y a comme une ombre sur ce premier discours du nouveau Président, qui était pourtant largement basé sur la nécessité de réunir le peuple français et de dépasser les divisions. |
|