Pourquoi il n'y a rien après la
mort pendant la vie ? Pas du côté de Dieu, mais celui des Algériens. Ben Bella
est mort et ont tous dit que c'est dommage car l'homme a emporté notre histoire
en nous laissant seulement la sienne et celle de Bouteflika et lui. Et après ?
Rien. On continue. Cette faculté algérienne d'aller de l'avant vers l'arrière
de l'histoire est étonnante : rien ne semble ébranler le pays, le réveiller en
lui-même, le mettre dos au mur face à l'avenir, à coté de l'ancêtre, mais du
coté des nouveau-nés à venir. Rien. Pas même une guerre civile, des milliers de
morts, des coups d'Etat, des putschs, des redressements et des crises et des
marches et des boycotts et des élections. Rien.
D'où la question : que faut-il
pour que le pays se soulève vers son statut de pays, pour que le régime
bascule, le peuple naisse et pour que l'histoire nationale redevienne
intéressante pour les siens ? Peut-être une colonisation dure et directe. Une
rupture dans les stocks du pétrole. Les deux conditions de déclenchements en
Algérie : le viol ou la faim. Peut-être. Car mis à part cela, le pays semble
tout subir sans bouger le muscle. Il faut peut-être une atteinte profonde au
corps de tous pour que l'âme de tous revienne à la vie. Sans cela, il ne se
passe rien. On est là, tous, dans l'ordre de la chaine alimentaire nationale
que l'on peut voir dans la haie d'honneur réservée à l'accueil du Président
quand il visite une wilaya : d'abord lui, puis les siens et, en face, le chef
de région, puis les ministres, puis le wali, le chef de Daïra, les élus, le
maire, les notables. Dans l'ordre alimentaire de la nation. Pas dans l'ordre de
la démocratie, apparemment, ni de la primauté de l'élu sur le désigné et du
civil sur le militaire. Etrange spectacle que tous voient mais peu décode selon
la biologie. Cet ordre alimentaire est là. Il n'a été bouleversé ni par les
élections, ni par les multipartismes, ni par les tentatives de démocratisation
par le bas vers le haut. C'est un ordre de préséance. Rien ne semble
l'ébranler ni le remettre en cause. Il est biologique. Comme l'espérance de
changement en Algérie. On attend tous que cela change par le vieillissement et
la mort et la disparition. Rien n'a pu accélérer ce mouvement, pas même le
printemps arabe et ses chutes de dictateurs en fracas. Rien. Les pays
pétroliers provoquant une étrange métaphysique de la stupeur et de la fatalité.
Tout y est visqueux, lent, absorbant le mouvement, noir, glissant et contraire
au muscle et à la conquête.