Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

LE SLOGAN ET LES FAITS

par K. Selim

L'exigence de «repentance» de la France pour les actes commis durant la colonisation, fonds de commerce de M. Abdelaziz Belkhadem et de certains membres de la «famille révolutionnaire», est manifestement une aubaine pour la droite française. Elle lui permet de détourner l'objet du débat et de masquer le véritable objet du contentieux. Quel est l'intérêt pour les Algériens qui ont combattu l'ordre colonial et arraché l'indépendance dans des excuses de la France ?

 Jusqu'à présent, aucun de ceux qui défendent cette demande de «repentance» n'a donné une explication raisonnable pour la justifier. Le fait qu'elle ait été mise sur le marché avec la détestable loi française sur les «bienfaits» de la colonisation montre qu'il s'agissait plus d'une réaction que d'une idée réfléchie. Encore qu'on se rappelle que ces mêmes personnes ont été très longtemps apathiques quand la loi sur les «bienfaits» est passée devant le Parlement français. Ils n'avaient réagi que plusieurs semaines plus tard, après que des historiens, chercheurs et enseignants français se furent mobilisés contre la prétention des politiciens à dicter l'histoire.

 Cette loi sur les «bienfaits» a eu raison, durablement, de l'idée de conclure un traité d'amitié entre l'Algérie et la France. Et c'est normal. Cette glorification du colonialisme montrait au fond que les responsables français continuaient à contester les faits. Ils refusaient ? et refusent encore ? d'admettre la barbarie de la colonisation et la sauvagerie de la répression mise en œuvre par l'armée coloniale.

 Là est la véritable source du litige entre l'Algérie et la France : une reconnaissance des faits qui ne se fait toujours pas. En mettant en avant une exigence de «repentance», on rend en réalité service à ceux qui persistent à défendre les vertus «civilisatrices» de la colonisation. Avec la «repentance», on sort du domaine de l'histoire, des faits et de la politique pour entrer dans un territoire quasi religieux. Et cela sert clairement les responsables français qui rejettent cette «repentance» pour ne pas avoir à reconnaitre les faits indubitables d'une colonisation avec ses massacres, la torture systématique, la déshumanisation des colonisés?

 Au lieu de faire de cette «repentance» un fonds de commerce politique que l'on sort épisodiquement, il faut se demander ce que nous faisons, en Algérie, pour l'établissement des faits. La triste vérité de ce cinquantenaire est que hormis des initiatives individuelles, on ne fait pas grand-chose. A se demander en définitive si cette revendication de repentance ne sert pas justement à masquer cet énorme embarras à appréhender une histoire que les Algériens savent glorieuse, malgré ses grands accrocs, ses batailles de personnes et parfois ses liquidations physiques.

 Plutôt que d'aller sur le terrain peu convaincant de la repentance, il faut aller vers l'établissement des faits, et cela ne peut être que le fruit des témoignages des acteurs, mais aussi d'un travail scientifique libre. C'est bien la tendance algérienne à vider l'histoire de son contenu humain qui permet aujourd'hui, et au mépris de la vérité historique, aux responsables français de mettre sur le même pied la violence coloniale et le combat libérateur. La demande de repentance est bien l'arbre qui cache une histoire que l'on ne semble toujours pas vouloir entendre. Et cela sert à merveille ceux qui continuent en France à défendre les «bienfaits» de la colonisation.