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L'architecture kawi plus pantoufles

par Kamel Daoud

Dans les livres, cela s'appelle «crise d'identité». C'est lorsqu'on est quelqu'un mais qu'on ne sait pas qui on est. Où lorsqu'on est soi-même mais qu'on se prend pour dix autres. Où lorsqu'on se cherche partout, sauf sous son propre nez. Chez l'Algérien cela se voit dans les vêtements, les livres, les modes de salutations. Mais aussi sur les murs. Hier, un décor à Oran : un haut-parleur installé sur le toit d'un immeuble « logements sociaux », relié par un câble à une étrange tente sphérique qui sert de? mosquée. C'est la première fois que le chroniqueur pouvait voir une tente-mosquée permanente. Il y a les tentes « je veux un logement », les tentes camping, les tentes après catastrophes naturelles ou les tentes sur l'Everest. Mais une tente-mosquée dans une cité à l'est d'Oran, c'était la première fois. Le pire, est qu'il y a pire avec beaucoup plus d'argent. Prenez une voiture et baladez-vous dans les nouveaux quartiers des villes algériennes : étrange errance avec du ciment et des architectes sur la dalle d'une âme effacée. D'abord les mosquées : les nouvelles ressemblent étrangement à des églises devenues mosquées après la décolonisation. Ensuite les villas : les Algériens y expriment une détresse incroyable : pagodes chinoises, toitures vietnamiennes, façades pseudo-mauresques, mélanges de faïence avec des fenêtres aluminium? etc. Tout y est, sauf ce qui est algérien. D'où la question : comment construire algérien ? Selon l'Etat-Père, c'est construire « socialiste» : cubes en béton, immeubles ternes? etc. Le style socialiste marque encore lourdement l'architecture des nouvelles cités algériennes. C'est le style personnel formé à l'ENA, l'architecture du « le wali veut » et des directions d'urbanisme qui veulent lui plaire. Ronds-points larges et inutiles, stèles affreuses pour célébrer des martyrs figés, arcades sans sens et portiques mauvaises héritières des villes bastions du moyen-âge algérien. Ceci pour le peuple en vrac. Pour les riches, c'est plus affreux : on sent que le constructeur individuel a de l'argent, un lot, l'envie de construire sa villa mais que lui manque une histoire nationale stable et admise, capable de donner au ciment le dessin de l'empreint d'un peuple qui marche selon sa danse. D'où ces étranges villas algériennes des beaux quartiers où se mêlent le kitch et l'indécision et les souvenirs de quelques documentaires sur des peuples étrangers ou des mémoires d'importateurs férus de Hong-kong. D'ailleurs, c'est le but de la chronique : démontrer qu'il existe des villas qui ressemblent aux hidjabs loufoques des Algériennes et aux compositions vestimentaires du vendredi après-midi, genre pantoufles plus kawi et kamis ou veste en daim. Donc, foulards en béton sur la tête de la terrasse, pantalons serrés en rez-de-chaussée, vestes par-dessus le balcon, toiture chinoise à cause des maçons chinois qui travaillent de nuit, chaussures en babouches pour les pas-de-porte, façades style salle de bains et séjour Louis 29 d'Indonésie.

L'Algérien, à la fin de son histoire, s'habille comme un andalou fauché qui habite Marseille après avoir transité par Téhéran pour expliquer qu'il est légèrement amazigh soutenu par des Chinois en cousinage avec le Maroc descendant du Sud et remontant de la France coloniale. Cela donne un clown identitaire qui construit sa maison avec les pièces d'une angoisse plurielle et le vœu d'une universalité mal cousue. Misère d'un peuple qui tourne le dos à lui-même quand il s'habille, loge ou parle et se souvient. La tente-mosquée, vue hier à l'est d'Oran, est le chef-d'œuvre de cette errance entre peau de chameau et peau de Chinois. C'est ce qu'a construit l'Algérien de mieux pour avoir un reflet sur le dur et un sens dans le mou.

 Le chroniqueur ne peut plus oublier le spectacle de cette yourte sans chevaux, au cœur même d'une cité bâtie avec le baril.