Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Le 10 mai plus important que les 50 ans d'indépendance !

par Kamel Daoud

Dans quatre mois, le pays fêtera ses cinquante ans d'indépendance après deux mille ans de colonisations cycliques. C'est la première fois que cette terre n'est pas une femme violée par un étranger, un puits interdit ou un butin sur le dos d'un homme violent qui repart. En principe, il y a dans cet anniversaire de quoi faire une assemblée générale de tous les Algériens qui ont vécu sur cette terre depuis l'époque où ils ne savaient même pas qu'ils étaient algériens ou pouvaient l'être un jour. Et pourtant, cela ne se voit pas, ne se ressent pas, ne se discute pas. Sauf en France où la date provoque une fièvre des livres, une levée des avis et des milliers de pages et d'histoires. Le dernier colon se souvient mieux de son dernier viol que nous de notre dernière histoire d'amour avec nous-mêmes. A quatre mois, on n'a encore rien vu, rien entendu et rien lu. La date qui concerne une terre entière va finir dans une distribution de omras et d'auto-félicitations chez les anciens Moudjahiddine. L'ENTV va en faire une hystérie creuse sur le meilleur des peuples mort pour le pire des peuples qui lui succède. Quelques histoires banales vont ouvrir quelques bouches, puis rien.

Pourquoi cette tiédeur et cette indifférence à propos de l'une des dates les plus importante du pays ? Deux raisons. D'abord, le 05 juillet est le cuisant rappel d'un semi-échec : on a chassé la France mais, depuis cette date, il y a dégringolade de la fête de tous vers l'émeute de chacun. Le Flambeau est devenu outil d'immolation. Les enfants algériens vont à l'école, il y a moins de poux en principe, on ne cire plus les chaussures, mais tout le pays ressemble à une caserne triste. Le maquis a pris la plaine mais la plaine ne s'est pas haussée à la hauteur de la montagne. Le pays a mal. A tué beaucoup de ses enfants, son histoire est faussée et il y a de la violence entre les survivants, et de la pauvreté, et il n'y a pas d'air. Il manque un sens à tous, la libération n'a pas été la liberté. 50 ans, le régime le sait, sera la date de son procès à lui. Il sera jugé même s'il est déjà condamné. Les Algériens vont parler de ce qui a été raté, pas de qui a été réussi puis détruit. Du coup, vaut mieux fêter ça avec des bougies petites plutôt qu'avec des torchères. Ensuite, tout fait mal au toucher : l'histoire nationale n'a pas encore été autorisée à parler, les survivants de la guerre ne s'aiment pas, la version nationale n'est pas consensuelle et il y a eu tromperie sur la tête du peuple qui a fait la guerre mais qui n'est pas encore président de son propre pays 50 ans après.

Enfin, c'est vous dire que les raisons du malaise sont nombreuses. Officiellement, l'Algérie ne pardonne pas à la France ce qui s'est passé avant 62, mais elle ne se pardonne pas à elle-même ce qu'elle a fait d'elle-même après cette date.

Ensuite, il y a l'autre raison, plus proche de l'alimentation générale que de la gloire : la date du 10 mai. Date des élections qui vont prouver, par le forceps, au reste du monde, que le régime n'a pas besoin d'un printemps arabe chez lui, que le peuple l'aime, qu'il n'est pas comme les autres, qu'il est honnêteté et que tout va bien et qu'il ne bat pas sa femme et son peuple. C'est pour cela que tout est fait pour cette date et c'est sur elle que le régime concentre ses efforts, ses meetings et ses appels de phares et de bus. Elle est plus importante pour lui que la date des 50 ans qui est importante pour le prestige ou presque pas. Ce n'est plus l'indépendance qui est prioritaire aujourd'hui, mais la crédibilité internationale et la vie après Bouazizi. Tout le monde sait que l'Algérie n'est plus indépendante et donc l'essentiel est de sauver ce qui reste : un régime indépendant de la volonté de son peuple de service. Le 10 est vital, important, décisif, urgent. Le 50ème anniversaire est flou, mal défini, sans conséquences. On a donc déjà des lois pour le 10 mai, des meetings pour le 10 mai, des partis pour le 10 mai, des commissions de surveillance pour le 10 mai et même des observateurs étrangers. Pour le 50ème anniversaire, on n'a encore invité personne et personne n'en parle, sauf la France.