« Toutes les civilisations ne se valent pas», a déclaré le ministre de
l'Intérieur français, Claude Guéant, lors d'un colloque organisé, samedi
dernier, par une organisation estudiantine apparentée de droite. Et voilà une
grande partie de la presse française et européenne faisant la «une» avec cette
idiotie «philosophique» oubliant au passage l'effet publicitaire gratuit, servi
à son auteur qui ne cache pas son objectif: l'électorat de la droite populaire
et extrémiste. Malin, ce Claude Guéant. Pourquoi alors le présent article ? Ne
tombe-t-il pas dans le piège médiatique tendu par le ministre alors qu'il
prétend le dénoncer ? Peut-être, mais puisque la tempête médiatique est
déclenchée, faisons comme les grands navigateurs: pour sauver le bateau du
naufrage, prenons le large, éloignons-nous des côtes et des récifs, plongeons
au cœur de la tempête. Reprenons. En distinguant des inégalités dans les acquis
de la civilisation humaine, le ministre français fait la différence entre celle
judéo-chrétienne et celle musulmane essentiellement. Parce que les apports des
autres civilisations précolombienne, asiatique, inca, aztèque, maya, inuit et?
sont dans l'esprit de monsieur Guéant mortes et si lointaines de la France d'aujourd'hui en
veille électorale. Et puis, puisque le ministre nous entraîne dans
«l'affrontement des civilisations» qui revient à la mode en ces temps de crises
multiples, renvoyons, à notre tour, M. Guéant à la sienne: «Jusqu'à quand me
tourmenteriez-vous et me broierez-vous avec des mots ? Voilà dix ans que vous
m'insultez. N'avez-vous pas honte de me torturer ?» (Job. La Bible, JB, 19, 2-3). Cela ne
suffit pas ? Renvoyons M. Guéant à la «rationalité» et l'esprit des lumières
dont il semble se revendiquer: «Le mal provient de la liberté» (E. Kant in La
religion dans les limites de la simple raison). Ainsi, le ministre français ne
se retrouve ni dans la «charité chrétienne», ni dans le rationalisme de la
pensée moderne, si tant est qu'il en a conscience. Au point de vue de la morale
du judéo-christianisme, M. Guéant fait le «Mal». Au point de la modernité, il
abuse de la liberté pour faire «Mal». Même en abondant dans sa logique qui
consiste à différencier, juger et opposer les civilisations, sa bêtise lui
revient à la face: son héritage religieux lui a été légué par des immigrés (les
chrétiens venus d'ailleurs); idem pour les racines de sa langue (Romains et
Grecs); les chiffres avec lesquels il compte sont arabes et jusqu'à sa
nourriture et sa musique qui sont un «butin» ramené par les vagues successives
de migrants. Car, il est clair que ce sont les immigrés (y compris ceux dits
intégrés) et les étrangers qui sont dans le viseur des propos du ministre
français. Les civilisations, monsieur le Ministre, sont un héritage universel
commun à l'humanité dont il est bon d'en tirer profit en ces temps de
mondialisation accélérée. Mais si vous persistez à renvoyer les uns et les
autres à leurs origines et leur héritage, je crains que la France en sorte grande
perdante, jusqu'à ne plus savoir compter, dire les mots et encore moins
s'amuser.