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Ma ville

par El-Guellil

Ma ville est moche, ou plutôt elle s'est enlaidie. La promotion des pôles industriels l'a effilochée, dans tous ses sens, et l'insécurité l'a recroquevillée sur elle-même. Et comme dirait l'autre, à tout malheur tout bonheur.      Mon voisin, artisan charpentier, dans notre tourmente collective et notre frénésie de « bunkérisation », a excellé dans l'art de confectionner des fortifications, tous bariolages, dimensions et épaisseurs confondus, ornées, ça et là, des plus subtiles nuances métalliques. Il est devenu le baron des barreaux.

Les habitations ont commencé d'abord à ressembler à des dortoirs, pour ensuite cesser de ressembler à des maisons. Il était facile pour mes hôtes de remarquer tous ces balcons inusités, toutes ces fenêtres cloisonnées à longueur de saisons, au moment où mes voisins et moi étions de grands buveurs de soleil. Ce même soleil doré de mille et une lumières, pour lequel des artistes, et pas des moindres, se sont « orientalisés » parmi nous et dans nos contrées.

Une ville respire, s'évertue, s'exhibe et s'angoisse comme une cellule vivante, m'a-t-on expliqué. Et sous d'autres cieux, m'a-t-on encore dit, l'impression de l'artiste précède la sollicitation de l'urbaniste, dans tout projet d'aménagement ou de restructuration de site. Dans ma ville, des maçons surclassent d'un revers de main, tous les plans d'architecture. Encore que de maçonnerie, les maçons de ma ville n'ont que la poussière du gâchis.

Les façades de ma cité sont moroses, ses arbres déracinés, ses fresques et jets d'eau asséchés, sa pierre taillée repeinte, ses taxiphones et abribus malmenés. Et entre deux cafés est aménagé un café. Une véritable «kiosquemania»

Ailleurs, il est planté un arbre pour chaque habitant, alors que les enfants des habitants de ma cité détestent la verdure, car nés daltoniens. Hérédité dominante, l'innée a anéanti l'acquise.

Pris individuellement, le résident de ma ville est un type formidable, en apparence civilisé, très consciencieux et intelligent. Et hop ! il se métamorphose subitement dès qu'un autre résident ou d'autres voisins viennent à former avec lui, un groupe d'individus. L'association ainsi faite se transforme, comme par magie, en une démission collective, une indifférence totale ou, tout bêtement, en un laisser-aller écoeurant. Réunis, le quotient d'intelligence de mes voisins et le mien dégringolent à une allure vertigineuse. Mieux, nous manifestons et entreprenons, de plus en plus, un nouveau symptôme: la «lumièrophobie». Dès lors, il n'y a pas lieu de s'étonner que, dans ma ville que j'aime, des lumières s'en aillent ou qu'elles s'amenuisent en luminosité, pour ne pas perturber le vide dans son paisible et long sommeil.