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Abdelkader Djeghloul: Un colloque qui déroge à la «règle»

par Ziad Salah

Par touches successives, les intervenants lors de la première journée du Colloque international sur Abdelkader Djeghloul se sont employés à confectionner le profil intellectuel et politique de celui qui a été soit l'enseignant, soit le collègue ou les deux à la fois, de plusieurs d'entre les participants à cette manifestation. Mais l'évocation de la stature intellectuelle multidimensionnelle de celui que tout le monde appelait affectueusement Kader n'a pas empêché de poser le problème de sa proximité avec le pouvoir politique. Par pudeur, certains ont parlé de «ses ambiguïtés» et d'autres l'ont inscrit dans le cadre de son obsession à participer à «la Construction Nationale», préoccupation des années soixante-dix. Autrement dit, ce colloque a dérogé à la règle des manifestations commémoratives où le non-dit s'érige en lignes de cadrage à ne pas transgresser. Benamer Mediene, se réclamant d'une «sociologie de l'affect et l'indicible», a privilégié le souvenir à l'élaboration d'un point de vue, s'est attelé à tracer «le roman familial» des Djeghloul. Il rappellera la trajectoire du père, un notable de la région de Boukadir, avant de s'étaler sur le brillant cursus scolaire et universitaire du fils. Mais on retiendra de ses propos que Kader a commis à la fin des années 89 un article «autocritique» où il s'était expliqué sur le fait «qu'il n'a jamais travaillé sur un thème unique» et «n'a pas formé une équipe» de disciples. Par contre, Abderrahmane Moussaoui est le premier à poser la question qui reviendra tout au long de cette journée : Djeghloul était un universitaire ou un intellectuel qui se prononçait sur les questions intéressant l'opinion publique ? Il décèlera au moins trois préoccupations chez Djeghloul pour expliquer ce balancement entre l'intellectuel et l'universitaire : «Remplir le vide» et «enraciner le débat dans l'histoire», entre autres. Moussaoui établira un parallèle entre Djeghloul et Frantz Fanon en soulignant que le premier a mobilisé la psychologie pour appréhender l'identité nationale et le second a opté pour la sociologie historique dans son effort de «déterrer» une culture nationale. Pour illustrer l'intérêt de Kader pour la question de l'intelligentsia, Moussaoui renvoie à la lecture d'un de ses articles publié dans «Algérie Actualités» intitulé «Intelligentsia suspendue dans le vide». Pour Djeghloul, cette absence d'intelligentsia est illustrée par son acceptation de son rôle «d'agents reproducteurs de schémas et normes de l'Etat National», dira Moussaoui. Ce constat s'explique, entre autres, par «une histoire moins riche» comparativement à nos voisins maghrébins d'une part et par «une histoire plus marquée par la déstructuration», ajoutera l'intervenant. Mais ce «drame» est aussi une «chance» puisque celle-ci peut prétendre à «un projet à définir en l'absence de tradition». Quant à Abdelmadjid Merdaci, qui a qualifié Djeghloul «d'intellectuel hérétique», il évoquera ses innombrables «transgressions» dont certaines soulèvent des questionnements.

Dans ce sens, il citera le cas de son passage de l'UGEMA devenue par la suite l'UNEA, un foyer de la contestation de la gauche, à une organisation inféodée au FLN. L'intervenant, prenant moins de précautions que les autres, s'interrogera sur l'engagement de Djeghloul avec le pouvoir de l'époque. Il soulèvera une autre transgression, celle du code de la bonne conduite universitaire, en optant pour les médias pour placer ses écrits. Il croit savoir que c'est «sa volonté de transmettre à la société» qui a motivé ces transgressions.

Mohamed Moulfi parlera de «Abdelkader Djeghloul, le transfuge». De formation philosophique, il passera aux Sciences Sociales et à l'Histoire. Affichant l'ambition à «une œuvre à vocation pédagogique», ce qui est repérable dans «ses cours, sa thèse et ses articles», il se privera «de la constitution d'un corpus» et finira par avoir «la volonté de développer une théorie», dira Mohamed Moulfi. Déplorant que «notre héritage n'est précédé d'aucun testament», Djeghloul «n'avait pas de références, ne citait jamais ses références», remarquera encore Moulfi.

Mohamed Hocine Belkheira, lors des débats, évoquera l'interdiction au centre que dirigeait Djeghloul en 1983 d'une table ronde sur Marx à l'occasion du centenaire de ce penseur. Ce qui lui fera dire «à un idéal, il avait opté pour le principe de réalité», autrement dit, Djeghloul, qualifié par Belkheira de «brillant synthétiseur», n'éprouvait aucune gêne à négocier avec le pouvoir en place.