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Trente-trois morts sont venus s'ajouter au bilan déjà
lourd d'une révolution égyptienne qui, décidément, n'en démord pas : elle
continue, à partir de la
place Al-Tahrir, de réclamer la «chute du régime».
Les violences qui secouent l'Egypte actuellement viennent rappeler une évidence : le petit clan des Moubarak est bien tombé, le régime reste en place. Avec tous ses instruments, il louvoie, manœuvre et fait durer les choses afin de maintenir le statu quo. Et sur fond d'une insécurité entretenue, le régime escompte ramasser la mise en poussant, par lassitude et par la peur, une bonne partie de la population à demander de «l'ordre». Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre chez qui on chercherait de l'ordre. Contrairement à la brutale grossièreté d'un régime syrien autiste, le régime égyptien a fait, jusque-là, dans une forme de subtilité où il cherche à incarner aussi bien la préservation d'un «ordre» clairement honni par le plus grand nombre, qu'un changement refusé par un petit nombre, les 1% de l'Egypte, les nantis et les profiteurs du système. A cette volonté de l'ordre ancien de perdurer, a fait face une pugnacité remarquable de ceux qui ne veulent plus d'un retour en arrière. Et cette pugnacité révolutionnaire a institutionnalisé de facto la place Al-Tahrir comme organe informel de surveillance populaire. Ce qu'ils disent dans cette agora du Caire, qui rassemble la plupart des courants et des idées, est quelque chose de fondamental : aucun retour en arrière n'est acceptable. Ils disent en définitive aux militaires qui contrôlent le pays qu'ils n'ont pas fait une révolution pour renvoyer Moubarak, mais bien pour changer un ordre qui a humilié le pays et ses enfants. En vérité, cela fait des mois qu'ils martèlent ce message. Et cela fait des mois que le haut commandement de l'armée tergiverse et table sur la lassitude des Egyptiens. Quand une institution de la république exige de pouvoir échapper à un fonctionnement républicain et de ne pas être soumise au contrôle démocratique des «civils», elle envoie un message qui a été clairement perçu par l'agora du Caire. Et quand des forces de l'ordre interviennent pour dissoudre l'agora de la place Al-Tahrir par la répression, il n'est pas erroné de parler de contre-révolution. Après un long statu quo, c'est une tentative de restauration autoritaire qui a été tentée. Mais éventée et contestée par des Egyptiens fermement décidés à aller vers une démocratie sans les ajouts ronflants qui la rendent «spécifique» et, en définitive, vide de contenu. L'Egypte est une grosse affaire. L'impact d'un basculement démocratique où les citoyens auront réellement leur mot à dire et où une opinion publique pèsera continuellement sur l'action du gouvernement, bouleverse l'ordre interne. Mais il a aussi un impact géopolitique considérable. En jouant un pourrissement manipulateur pour susciter une demande d'ordre, le régime défend des intérêts de caste. Il se pose également, insidieusement, en rempart contre un changement, non désiré par les Occidentaux, dans l'échiquier régional. C'est bien la vieille fonction de «gardien» de l'ordre exercée que le haut commandement égyptien cherche à faire valoir. L'institution militaire devra en définitive choisir : ou accompagner, sans l'entraver, l'irrépressible appel au changement des Egyptiens, ou prendre le risque d'une exacerbation de la crise. L'agora de la place Al-Tahrir a montré, en le payant chèrement, qu'elle ne céderait pas dans son exigence de liberté, de dignité et de citoyenneté. Il reste aux militaires à faire le bon choix. Et de ne pas s'aveugler. |
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