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La justice ne tenait plus sur ses pieds hier. Et pour cause, l'un de ses
piliers centraux, la défense, lui a fait défaut. Bien que ce soit une évidence,
un principe par définition, les avocats ont démontré hier que «sans eux il n'y
a point de justice.»
C'était l'une des idées-forces de l'action orchestrée par les robes noires, et dont le mot d'ordre appelant à un gel de l'activité durant trois jours à compter du mardi 25 octobre au niveau national, avait été donné par l'Union nationale des barreaux d'Algérie (UNBA), lors de leur dernière assemblée générale organisée à Béjaïa. Le choix du timing de cette action de protestation n'est pas fortuit : elle intervient à la veille du grand évènement politico-judiciaire, la cérémonie d'ouverture de l'année judiciaire, en l'occurrence. En langage syndicaliste -bien que la notion du sydicalisme ne se prête pas à cette profession libérale-, le taux du débrayage a atteint 100%. Tous les barreaux du pays, au nombre de treize, ont observé la cessation concertée et collective de l'activité durant la journée d'hier. Toutefois, obligation morale envers le client exige, certaines tâches conditionnées par l'impératif du délai, comme les appels, les pourvois en cassation et les oppositions, ont été assurées par les avocats, en cas d'empêchement pour le justiciable d'en accomplir l'acte par lui-même. Comme il fallait s'y attendre logiquement, l'ensemble des juridictions du pays (les cours et les tribunaux qui en dépendent, les tribunaux administratifs, les pôles pénaux spéciaux, la Cour suprême, le Conseil d'Etat?) ont subi les répercussions de la «grève» des avocats. Toutes les tâches où la présence d'avocat est obligatoire ont dû être déprogrammées. C'est le cas notamment des audiences, où les magistrats n'ont eu d'autre alternative que de renvoyer les dossiers tout en bloc à une date ultérieure. Si pour les justiciables comparaissant libres, un tel report forcé n'est pas aussi désagréable, il en est tout autrement pour les détenus, qui doivent prendre leur mal en patience pour au moins une semaine de plus. Cet ajournement dicté par la conjoncture n'a pas concerné uniquement les audiences du criminel, où la présence d'avocat est obligatoire par la loi, mais également les affaires relevant du correctionnel, y compris les procès tenus dans le cadre de la procédure du flagrant délit, où l'assistance par un avocat est facultative, c'est-à-dire soumise à la volonté du prévenu et à l'appréciation du juge. Faute de robes noires donc, les palais de justice et autres tribunaux se sont transformés, l'espace d'une journée, en de simples établissements de service public réduits à délivrer des casiers judiciaires, des jugements et arrêts, des certificats de nationnalité et autres documents judiciaires et administratifs. Les visites des clients incarcérés ont été également boycottées par les avocats. Palais de justice, square Maître Auguste Alfonso Thuveny, centre-ville d'Oran. L'ambiance est inhabituelle en cette matinée à l'intérieur du siège de la cour, comme dans son pourtour. Le passage de stationnement longeant le palais, réservé aux avocats, est concédé - une fois n'est pas coutume - au public. A peine une dizaine de véhicules portant autocolants du sigle de la profession sur pare-brise sont constatés. Pourtant, au siège du bâtonnat, au premier étage du palais, plusieurs dizaines d'avocats sont là. Ceux-ci ont boudé les salles d'audience, pour venir s'attabler dans le grand hall donnant accès au bureau du bâtonnat. Ni cartables entre les jambes, ni dossiers sur la table ou sous le bras, ni toge noire avec cravate blanche? les avocats sont aujourd'hui?débrayés. Avec comme sujet central de discussion : le très controversé projet de loi réglementant leur profession. Les doléances exprimées ça et là vont bien au-delà des revendications consignées dans le PV de l'AG de l'Union nationale des barreaux d'Algérie et qui constituent la plateforme consensuelle à la base du mot d'ordre de cette action de débrayage de trois jours, à savoir l'amendement du code de procédure civile, l'enrichissement du code de procédure pénale, la création d'une mutuelle des avocats et la mise en place d'une TVA de 5% au lieu des 17%. La tendance dominante est contraire à l'idée du rejet du projet de loi, «élaboré par des anciens bâtonniers à la fin de l'année 1997», demandant juste l'amendement des articles contestés. A Skikda, la corporation des robes noires dépendant de la cour de Constantine qui englobe les wilayas de Skikda, Jijel, Mila et Constantine, a répondu entièrement à l'appel de grève lancé par le syndicat national, l'union des barreaux d'Algérie, en boycottant depuis hier, l'ensemble des audiences inscrites au niveau de la cour et des tribunaux. Contacté hier dans l'après-midi, Me Lenouar, bâtonnier de Constantine, a confirmé «que l'arrêt de travail a été observé à 1OO % par les avocats exerçant dans les quatre wilayas». D'autre part, une tournée effectuée hier matin au niveau des tribunaux de Ziadia et de Sidi-Mabrouk (tribunal administratif), du pôle judiciaire de la rue Boudjériou et enfin de la cour, nous a permis de constater que la grève est totale. Les quelques avocats rencontrés dans les tribunaux étaient uniquement venus là afin de se rencontrer entre eux, parlant de la grève en échangeant des informations», nous ont-ils dit. Toutes les affaires inscrites aujourd'hui ont été reportées à une date indéterminée, sûrement jusqu'après la fin de cette grève prévue sur trois jours», nous a confié un avocat au niveau du pôle judiciaire de la rue Boudjériou. Celui-ci a tenu à situer l'objet de la grève en parlant grosso-modo du projet de loi régissant la profession. Il a tenu à préciser «qu'il ne s'agit pas de revendications salariales mais surtout pour protester contre la grave régression que connaît le droit de la défense en Algérie». Au niveau du barreau d'Alger, qui compte le plus grand contingent avec plus de 6.000 avocats inscrits, le mot d'ordre de grève de trois jours a eu un écho largement favorable. Ainsi, toutes les audiences programmées hier ont été renvoyées. C'est ce qu'a affirmé le bâtonnier d'Alger Abdelmadjid Sellini, en soulignant que la grève a été largement suivie à Alger, autrement dit, à 100%. «Il faut le reconnaître, on fait semblant de défendre les citoyens algériens, ce n'est pas ce qu'il faut et avec ce nouveau projet de loi ça va être pire qu'avant», dira Me Sellini. Pour lui, «les avocats refusent de jouer le rôle de simple figurant dans le système de justice algérien.» |
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