«A vouloir
étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions
violentes».(John Fitzgerald Kennedy)
Comme un coup du
sort, le président français Nicolas Sarkozy est devenu une troisième fois père,
le jour de la mort de Mouammar Kadhafi? et de son fils Mouatassam.
Du moins à quelques heures de différence. Généralement, la gestation d'un bébé
dans le ventre de sa maman est de l'ordre de neuf mois. C'est-à-dire que la
conception de la petite Giulia Sarkozy remonte au
mois de février dernier, mois du déclenchement de la révolution libyenne. La Libye a mis au monde, neuf
mois après et à sa manière, son bébé : la liberté de choisir ses chefs et de
décider de son destin. Faut-il voir dans la coïncidence de ces événements un
«signe du destin», un hasard, une providence ou une fatalité? Parce que ces
quatre mots, pour synonymes qu'ils soient, n'ont pas la même portée symbolique
malgré la proximité de leurs sens. Si la conception d'un bébé obéit à des lois
biologiques, la révolution naît, elle, de circonstances particulières. Si le
bébé voulu est le produit d'un amour, la révolution est le produit de la haine,
de l'injustice, de la violence et de l'humiliation. Comme c'était triste de
lire les communiqués des chancelleries européennes se félicitant de la fin, à
la fois tragique et pathétique, de «l'ex-guide libyen» après les félicitations,
quelques heures auparavant, au «papa Sarkozy». Nul doute que Sarkozy sera
attentif à son enfant. Il veillera sur sa croissance et son éducation. Et la
révolution libyenne ? De qui et de quoi hérite-t-elle ? Deux mille ans
d'occupation, dix-huit années de monarchie archaïque (1951- 1969), quarante-deux
ans de dictature et neuf mois de guerre civile ! Et maintenant ? Ce n'est pas
faire un bébé qui est difficile. Toutes les femmes et les hommes pubères du
monde le savent. C'est la suite qui n'est pas simple : veiller, éduquer, assurer
et rassurer avant que le bébé ne vole de ses propres ailes, libre et
responsable de son? destin. La
Libye bénéficie, à ses flancs, de la chaleur de ses sœurs
tunisienne et égyptienne. Ces dernières font leurs premiers pas, bien que les
convulsions soient encore douloureuses et les plaies mal cicatrisées. «Signe du
Destin», encore une fois : les Tunisiens de l'étranger ont commencé à voter
pour leur constituante le jour de la disparition de l'«ex-guide libyen». L'espoir
est donc permis et la Libye
est un peu moins orpheline de son rêve de liberté. Et puis, ne devient-t-elle
pas, à son tour, un espoir pour d'autres peuples en «gestation» de liberté ? Damas
et Sanaa hurlent de douleur en ces moments et regardent vers Tripoli. Rabat, Alger
et Manama se sont tues après leurs premiers cris. Pour combien de temps ? Combien
de saisons ? Un terrible poids que d'écrire ces lignes, tant les images des
circonstances de la mort de l'ex-guide libyen diffusées sur les chaînes de
télévisions sont insupportables, inacceptables ! Il s'agit de la mort d'un être
humain, fût-il dictateur sanguinaire. La mort d'un être humain dans une telle
violence n'est pas digne de ses auteurs. Oui, Kadhafi capturé vivant aurait eu
plus de panache et d'honneur pour les Libyens. Malheureusement, les révolutions
«empêchées» ont toujours été violentes, meurtrières, drainant des rivières de
sang et de larmes. Pour sa famille et ses partisans, Kadhafi est mort au combat,
en héros. Pour le peuple libyen, il a été vaincu comme un despote. Pour toutes
ses victimes et les familles des milliers de morts c'est un assassin abattu
dans sa fuite désespérée. Comme l'Irakien Saddam Hussein, il nourrira les
discussions dans le monde arabe, opposera des opinions puis finira dans les
oubliettes de l'Histoire. Cette «histoire», des despotes et dictateurs, qui se
répète depuis la nuit des temps, aura-t-elle, un jour, une fin ? Pas évident, sinon
pourquoi alors le Syrien Bachar El Assad persiste-t-il dans son aveuglement ? Combien lui
faudrait-il de victimes, de morts, d'orphelins et de veuves pour qu'il daigne
laisser le peuple syrien «vivre sa vie» ? Revendiquant leur appui, si ce n'est
leur paternité du «succès» de la révolution libyenne, les Européens regardent
déjà vers Damas. Si ce n'est Sarkozy qui sera tenté de faire un autre «enfant»,
rien n'exclut qu'un autre Européen ne soit pris soudain par le désir de
paternité. Pourtant, chez certains Arabes, l'enfant né d'un père étranger, a
fortiori non musulman, est qualifié, facilement, de bâtard.