
L'enquête judiciaire sur le meurtre de l'enseignant universitaire Ahmed Kerroumi, diligentée par le juge d'instruction près la 9e
chambre du tribunal d'Oran, abordera, mercredi 19 octobre, un virage crucial.
Une reconstitution des faits aura lieu, à 10h30, dans le local du parti
MDS, 7, rue Chanzy, quartier de Sidi El-Bachir (ex-Plateau
St Michel), Oran. Acte d'investigation qui s'est avéré incontournable pour
l'élucidation de ce crime. Ainsi, dans une semaine, l'auteur présumé de
l'assassinat du professeur Kerroumi, un jeune livreur
de boissons énergétiques, aura à faire un court trajet en fourgon, de la maison
d'arrêt de M'dina Djdida au
siège du MDS à Plateau, où une longue et non moins accablante séance l'attend. Pourquoi
cette reconstitution du scénario du crime ? Théoriquement, il y a plusieurs
intérêts. Le premier est de pouvoir constituer un album photographique du
déroulement des faits, qui sera ensuite utilisé et montré aux jurés du tribunal
criminel pour qu'ils puissent se rendre compte, clichés à l'appui, de la façon
dont la scène s'est déroulée. Le deuxième intérêt est de pouvoir confronter et
vérifier les déclarations du mis en cause avec les constatations matérielles
réalisées sur place. Il arrive, par exemple, qu'on se rende compte que tel dire
ne peut coller avec la configuration des lieux. Les déclarations de la personne
mise en examen peuvent varier entre le cabinet du juge d'instruction et le lieu
du crime. Des choses peuvent aussi lui revenir en mémoire ; elle peut ainsi
apporter des précisions ou faire de nouvelles déclarations. Quand la personne
inculpée s'exprime sur la scène du crime, l'enquête progresse bien en général. Une
reconstitution permet également de confronter les points de vue des différents
«acteurs», celui du mis en examen avec celui des témoins, des victimes ou des
parties civiles. Cependant, sur le plan concret, cette démarche tant attendue
n'en est pas moins controversée. D'abord, et surtout, par les avocats de l'inculpé
B. Mohamed, qui y voient non seulement une «vaine tentative» mais, bien plus, un
«acte injustifié et contre-productif» sur le chemin de la recherche de la
vérité. «Une telle reconstitution des faits aurait été utile, voire
incontournable, si l'inculpé avait reconnu au moins avoir vu la victime durant
la période de sa disparition du 17 au 23 avril dernier ou s'il y avait un
témoin qui l'aurait vu entrer ou sortir du lieu où fut découvert le corps de la
victime. Or, rien de tel. C'est insensé ; on va faire monter notre client sur
une scène où il n'était pas présent ce jour-là et on va lui demander de se
remémorer des séquences qu'il n'a ni vécues ni vues. C'est de la pure fiction !»,
martèle un des deux conseils de l'inculpé. Ces derniers auront toutefois fort à
faire pour expliquer l'existence de traces de sang de leur mandant découvertes
par les enquêteurs sur plusieurs objets prélevés de la scène du crime, dont une
serviette et un bout de papier journal. Les tests ADN effectués par la police
scientifique sont formels là-dessus. Pourtant, la défense a de quoi semer le
doute : un certificat médical, ainsi que le témoignage du médecin lui-même, prouvant
que B. Mohamed avait eu un accident de moto le 23 avril 2011, soit le même jour
de la découverte du corps sans vie de Kerroumi, et
qu'il s'était fait suturer au niveau de la mâchoire à l'EPSP
d'Es Seddikia». Sur le lien entre cette blessure et
les tâches de sang retrouvées dans le local du MDS, les avocats n'en disent
rien pour l'heure, préférant attendre le jour d'audience. Un autre élément très
important est sujet à débat: le listing des appels téléphoniques reçus et émis
par le portable de Kerroumi tout au long de son
éclipse. La défense trouve à redire sur le compte-rendu établi par l'opérateur
de téléphonie mobile via commission rogatoire du magistrat instructeur. Plusieurs
griefs sont formulés par les avocats de la personne mise en examen, s'agissant
de cet élément technique, notamment la censure de certains appels, ainsi que la
non-précision, pour certains appels, des endroits par
le système de géolocalisation GPS qu'offre la
technologie GSM. En revanche, et contrairement à ce qu'on laissait accroire au
début, il est avéré aujourd'hui qu'il s'agit d'un crime violent et d'une rare
monstruosité, comme l'a démontré d'ailleurs l'autopsie. En effet, le rapport du
service médico-légal du CHU d'Oran fait état, au titre de l'examen de
l'ensemble de la surface corporelle, d'une plaie vitale contuse de 3 cm au niveau du vertex, une
excoriation arrondie contuse, croûteuse de 3 cm, de multiples excoriations ecchymotiques
au niveau de la région pariéto-frontale droite, une
plaie vitale de la face interne de la joue droite?, entre autres. L'autopsie
révèle aussi une infiltration hémorragique fronto-pariétale
droite, une infiltration hémorragique du muscle temporal droit, ainsi que des
traces de violence au niveau du cou, la cavité thoracique, la cavité abdominale,
entre autres. Dans leurs conclusions, les médecins légistes notent que «la mort
est en rapport avec un poly-traumatisme crânien qui s'est déroulé en deux
phases. La 1ère: la victime a reçu un premier coup au niveau du vertex à l'aide
d'un objet contondant acéré. La 2ème: s'ensuit une chute sur la cuvette des
toilettes; l'agresseur a maintenu et projeté violemment et de façon itérative
la tête contre le support de la cuvette, jusqu'à fracasser la cuvette. La
victime a traîné le corps en dehors des toilettes puis a sombré dans un état
comateux estimé à trois jours. Il n'y a aucun signe de lutte ou de défense.»
Cependant, plusieurs zones d'ombre persistent: le mobile du crime (la piste préviligiée jusqu'ici peut être résumée en une affaire de
mœurs), la disparition de la voiture de la victime (une Peugeot 206 noire), entre
autres.