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Malgré
ses intestins, ses divergences, ses fameux clans et sa longue histoire d'un
maquis qui n'arrive pas à descendre du maquis vers la plaine, à faire confiance
aux civils ou à déposer les armes, le «Pouvoir» en Algérie a toujours été
cohérent. Le mot peut heurter mais il correspond: on avait une sorte
d'idéologie simpliste et autoritaire du tutorat, même avec l'idée de bien
manger derrière la tête. Une sorte de conviction de la primauté du militaire
sur le blabla. On avait une sorte de lobby de janissaires qui veillait, par
ambition, par appétit ou par délire de mission historique, sur l'édifice: le
Pouvoir/le Peuple. Les plus proches du centre du centre savent aujourd'hui que cela
a changé: nous sommes le pays unique d'une sorte de vague dictature molle qui
ne peut faire preuve de solidité que dans le plus intense moment de la menace. Curieusement,
le pays est d'abord retourné vers une ancienne formule de gouvernance: Alger/Tribus
de l'intérieur du pays/corps de janissaires tuteurs du Dey. A l'époque de la
régence ottomane, Alger se contentait de puiser l'impôt et de désigner les
préfets. Elle fait de même aujourd'hui: désigner des walis et pomper le pétrole
et le gaz. Le reste du pays n'a qu'à se gouverner tout seul.
Cela a duré ces dix dernières étranges années où un peuple (mort) colportait des rumeurs sur un président (malade) pendant que les janissaires scrutaient l'avenir avec lassitude. Des observateurs étrangers continuaient de parler de cabinet noir et de généraux mais cela n'était plus totalement exact. Il y avait une fatigue sourde, un souci du corps et de la santé, une baisse de la libido au sein même du sein. C'est donc à partir de ce moment qu'il faut dater la montée d'un nouveau corps de détenteurs de pouvoirs dans le Pouvoir algérien. Une sorte de caste de nouveaux hommes forts qui ne sont ni civils ni militaires. Ils ne contrôlent pas des casernes mais des secteurs d'importation, des journaux «indépendants», des réseaux de cadres supérieurs vassalisés. Ces nouveaux semoule-boy ont eu le génie de jouer sur les grands réflexes du peuple: religiosité montante, bigotisme, anti-occidentalisme et cupidité. C'est un peu la prise de pouvoir par des cuisiniers dans un palais de gouvernance vide et sans maîtres. C'est donc un peu le règne des mamelouks, ces anciens esclaves devenus maîtres et reconnaissables par la ruse, la force physique, le soupçon, le don de la trahison et du meurtre, l'audace mais aussi la courte vue. A leur côté, l'ancien Pouvoir, vieux et malade, apparaît comme un homme qui savait au moins s'habiller et qui faisait du Mal au nom du Bien. Pas ces nouveaux maîtres: ils ont un instinct de vengeance sur le sort et les longues années. Où sont-ils ? Au centre du centre, abasourdis par le brusque pouvoir que leur donne la vacance du Pouvoir et électrisés par les perspectives nouvelles. Quelles sont les règles de leurs succès ? 1°- Agir pendant que le Pouvoir bavarde sur sa légitimité. 2°- Ne jamais se montrer en public ou au public, ne jamais se vanter ouvertement ou laisser traîner le nom et le prénom quelque part. 3°- Ne pas courir après les partis, les kasmate, mais contrôler la semoule, l'approvisionnement, les banques. 4°- Jouer sur la tendance qu'ont les riches Algériens à se chercher un maître, un officier traitant, un bey de tutelle. Techniquement, c'est donc le règne des intendants. Des délégués. C'est ce que pronostique le chroniqueur: un retour vers le passé. Les plus fins ont compris que la notion d'Etat en Algérie régresse: on est passé du modèle français gaulliste/jacobin, très centraliste, à la régence ottomane ces dernières décennies. Maintenant, on remonte plus loin: vers l'époque des royaumes des villes de l'intérieur, les périodes éparses du brigandage et des émirats brefs et sans filiations. 2011/2012 est donc proclamée année algérienne de Barberousse et de la piraterie en terre sèche. Le Pouvoir a changé: ce n'est plus présidence/DRS ou armée, mais une autre voie qui se dessine: celle des intendants. |
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