Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La réforme des cheveux à l'heure d'été

par Kamel Daoud

Mais où sont passées les réformes algériennes ? Dans le sac où le coiffeur ramasse, à la fin de la journée, les cheveux de ses clients. On n'en parle plus. Le vent est passé et il y a une vie après la mort des martyrs. Du coup, la routine reprend : Belkhadem rêve d'être Président, Ouyahia lui répond, Tewfik ne dit rien et Bouteflika regarde son frère qui le regarde. La dynamique musculaire du pays est assurée par le cycle contradiction-décontraction entre police et émeutiers. Des chiffres sont lancés en l'air : un million de logements, quatre milliards d'emplois créés, deux cent mille km d'autoroutes. Dans le tas, un seul chiffre émerge : il est vrai, il est prononcé par l'Occident, il est vérifiable par le ventre et les yeux, il est unique et sincère : celui des importations algériennes qui ont augmenté cette année. On mange plus, on achète plus, on paye plus et avec plus de blé à l'achat. Cela corrige un peu les rusés petits mensonges de nos ministres qui parlent d'exportations d'orge, de super récoltes, de réduction de facture extérieure et de crédoc pour mieux contrôler les dépenses et la fuite de notre argent national. Les Algériens, et selon des chiffres officiels, ont importé monstrueusement trois produis : le lait, en tête, de la semoule et de la viande. Le chiffre d'un peuple qui mange est donc la principale révélation de l'année : les Algériens sont des obèses vu du point de vue des statistiques fixes. Tout le reste est mensonges ou discours sur la réforme. Tout le reste c'est du Ouyahia ou du Belkhadem. Tout le reste c'est un peu nous, un peu eux mais jamais le Japon. Jusqu'à quand ?

 C'est que les rusées nouvelles dictatures intelligentes ont compris : ce qu'il faut, ce n'est pas un parti unique, de la répression directe, des arrestations et de la confrontation. Que non ! Il suffit de dé-idéologiser le peuple, le vider de toute possibilité de vision du monde. Les nouvelles dictatures n'ont pas des idéologies comme l'ancien communisme. Non. Elles préfèrent la légitimité de l'intendance et de la régie alimentaire. On ne vous promet pas l'avenir mais le présent immédiat. Celui-ci se mange. S'achète. Se palpe. On peut en soutenir le prix et en régler la distribution. Les gens sont appelés à se présenter comme des estomacs pas comme des opposants ou des dissidents. Vous pouvez être en colère contre la distribution mais cela n'implique pas de dégager le Distributeur majeur. Que s'est-il passé depuis le discours déjà en noir et blanc de Bouteflika en mars dernier ? Rien. Personne ne parle plus de réformes. Les images du crash libyen sont servies avec chaque repas pour dissuader l'estomac de devenir un drapeau. Le Pouvoir a gagné. Du temps.