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Salaires : «A la rentrée, tout le monde refera ses comptes !»

par Samy Injar

Les augmentations de salaires des six premiers mois de l'année 2011 ont fait parler de «printemps social en Algérie» alors que le printemps était politique dans les autres pays arabes. Avec la dure grève d'Air Algérie, un cycle va peut-être se refermer. Ou peut-être pas, car l'analyse des augmentations et de la conjoncture montre que les tensions ne sont pas épuisées. La rentrée d'octobre révèlera «les perdants du printemps».

Les mouvements de grèves de travailleurs ont permis d'obtenir une augmentation de salaire de 23% en moyenne dans le secteur public économique depuis le 1er janvier dernier, selon un calcul de Maghrebemergent (ME). Cette augmentation n'intègre pas la fonction publique, là où les hausses ont été les plus importantes. Là d'où tout est parti en vérité, avec l'annonce des 50% de hausse des salaires dans la DGSN, qui ont largement contribué à la colère de la jeunesse début janvier 2011. Les médecins avec 70% d'augmentation au total ? rejetés par un des deux syndicats de la corporation, le SNSP, mais acceptés par l'autre, le SNMGSP- signent le plus important rattrapage dans la fonction publique. Tout juste derrière les gardes communaux qui touchent en primes des augmentations supérieures à 100% et alignent, avec 33 000 dinars, leur salaire moyen sur celui de l'agent de police débutant. L'enseignement supérieur a poursuivi en 2011, le mouvement de réalignement de ses salaires grâce notamment à l'entrée en vigueur des primes de documentation et de recherche. Le solde des augmentations pour les universitaires oscille entre 33 000 dinars et 80 000 dinars. La fonction publique devrait pour le plus gros de ses effectifs attendre et voir à la rentrée. Ainsi les premières fiches de paie reçues par les médecins et les chirurgiens du secteur public, ne correspondent pas tout à fait aux calculs prévisionnels. La tension pourrait toutefois provenir d'un autre corps de métier, l'éducation nationale. Les dernières augmentations obtenues dans le contexte politique très particulier du premier semestre 2011, ont été plus importantes pour des corporations moins organisées et moins combatives que les professeurs du secondaire, augmentés précédemment dans un autre contexte. «Un nouveau débat sur la juste rémunération des PES devra être lancé à la rentrée prochaine dans nos rangs» affirme un syndicaliste du Cnapest de la wilaya de Tipaza.

Les entreprises publiques devant l'écueil de l'exécution

La tournure très heurtée prise par la grève du personnel navigant commercial (PNC) d'Air Algérie marque la volonté du gouvernement de contenir la vague des augmentations de salaires dans le secteur public économique. Le PDG sortant d'Air Algérie, Wahid Bouabdellah, a perdu son poste pour avoir envoyé un mauvais signal avec sa promesse de hausse de 107% lâchée aux aurores d'une grève sans préavis en juin dernier. Les 25% d'augmentation sur lesquels s'est dessiné un accord entre les syndicalistes et la nouvelle direction d'Air Algérie correspond non pas aux excédents d'exploitation du pavillon Algérie, mais à une moyenne haute des hausses dans le secteur public économique. Chez Algérie Télécom, les augmentations ont été de 25%, tout comme à Algérie Poste et dans le secteur bancaire public qui n'a pas eu besoin de passer par un conflit ouvert. En haut de la fourchette des réajustements se situent les entreprises du secteur de l'hydraulique où les salaires, partis de bas, ont connu une hausse de 53% dans certains cas. Les salariés de Sonelgaz ont obtenu de 30% à 40% d'augmentation après avoir revendiqué 70% de hausse. Tous les SGP ont accordé des augmentations, y compris dans des filières réputées sinistrées comme le textile (8% en moyenne). Le potentiel de contestation n'est pourtant pas retombé dans les entreprises publiques car la mise en œuvre des décisions n'est pas aussi fluide qu'un virement du Trésor public. Les travailleurs de SNVI Rouiba pourraient ainsi repartir dans un nouveau bras de fer avec la direction, accusée de mauvaise gestion et rendue responsable de l'incapacité du complexe à générer du chiffre d'affaires. La hausse dans la mécanique et la métallurgie varie entre 12% et 20% qu'il faudra mobiliser en trésorerie à chaque fin de mois.

Le privé international sous pression

C'est finalement dans le secteur privé que demeure peut-être le gisement de contestation sociale le plus fort dans les mois qui viennent. La hausse des salaires y a été d'environ 20% sur la base de pointages partiels (ME). Mais cela n'est pas très significatif car ces augmentations ne touchent pas beaucoup d'entreprises. Le secteur mixte capital étranger- capital public est le plus exposé. Arcelor Mittal a connu plusieurs mouvements et convenu d'une hausse de 18%, alors qu'un peu plus tard les travailleurs de Linde Gas ? leader mondial des gaz industriels ? ont mis au second plan leurs revendications salariales pour exiger la renationalisation de cette entreprise. Plusieurs grandes enseignes étrangères en Algérie ? dans des secteurs aussi divers que l'agro-alimentaire, la boisson, ou les matériaux de construction - ont discrètement négocié sous pression de nouvelles conventions collectives et accordé des augmentations de salaires dans la fourchette des 20% à 30%, pour anticiper des mouvements de grèves, nuisibles pour leur image. «A la rentrée tout le monde refera ses comptes et les perdants de ce printemps social se reconnaîtront» conclut le syndicaliste Cnapest.