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LES LIMITES DU CORPORATISME

par M. Saâdoune

Quand le P-DG d'Air Algérie souligne qu'une hausse des salaires pour les stewards et hôtesses d'Air Algérie aurait un effet d'entraînement, il ne fait pas que conjecturer. Les dures journées de grève du personnel navigant commercial (PNC), avec ces milliers d'Algériens en errance dans les aéroports, ont choqué l'opinion algérienne. Si le conflit a pris d'emblée l'aspect d'un bras de fer, cela tient au fait que la direction d'Air Algérie ne pouvait se permettre d'ouvrir le tonneau des Danaïdes.

 Selon toute probabilité ? la communication officielle étant ce qu'elle est, on en est réduit à conjecturer ?, le limogeage du précédent P-DG était motivé par ses promesses de hausse salariale excessive adressée au PNC après une première grève. Ces promesses avaient immédiatement entraîné une revendication de mise à niveau des autres corporations qui ? et c'est un euphémisme ? ne considèrent pas que les hôtesses et stewards sont plus «importants» ou plus «nécessaires» qu'eux dans le fonctionnement de l'entreprise.

 Ce premier signal montrait qu'une gestion «corporatiste» était très risquée dans une compagnie qui compte pratiquement un syndicat pour chaque corps de métier. Le nouveau P-DG de la compagnie se retrouvait dans l'obligation de convaincre le personnel navigant commercial de modérer ses prétentions et d'accepter que la question salariale soit traitée de manière générale.

 Pourquoi ce discours «raisonnable» n'est-il pas passé auprès du personnel navigant commercial ? Là également, il n'y a de place que pour la conjecture. Evacuons la théorie du complot, car personne n'est en mesure de prouver. Il vaut mieux s'en tenir aux raisons et à la stratégie des acteurs qui, dans le cas d'espèce, sont le PNC, la direction d'Air Algérie et, en arrière-plan, le gouvernement en tant que représentant de l'Etat actionnaire.

 Les hôtesses et stewards ont-ils estimé que les «promesses» de l'ancien P-DG engageaient la compagnie ? Si tel est le cas, ils auraient fait une remarquable erreur d'appréciation car, justement, ce sont ces promesses-là qui ont coûté sa place à l'ancien P-DG. Le gouvernement est, de fait, l'unique actionnaire d'Air Algérie, et en dégommant le P-DG, il signifiait que ses promesses sont inacceptables. Le nouveau P-DG n'était donc pas désigné pour appliquer les promesses de son prédécesseur. Il est probable que le PNC a parfaitement compris le message et a pris le risque d'engager une bataille dans un mauvais grand rush qu'il pensait «propice». Et qui s'est avéré très contre-productif.

 Le corporatisme peut mener à des impasses. Et la corporation des stewards et hôtesses n'est pas ? c'est un euphémisme, quand on entend les commentaires acides des personnels techniques et autres ? actuellement très populaire au sein du personnel d'Air Algérie. Ce personnel est aujourd'hui en situation de «vigilance». Il n'accepterait pas que le personnel navigant commercial soit privilégié par rapport aux autres.

 La direction d'Air Algérie se retrouve contrainte à la résistance, aussi bien par l'Etat actionnaire, qui ne veut pas d'une contagion, que par les autres personnels, qui n'accepteraient aucune hausse inégalitaire. C'est 20% pour tous, sinon «ça risque de flamber», a déclaré Mohamed-Salah Boultif. Il est peu probable que la direction d'Air Algérie s'écarte de cette ligne.

 Dans les aéroports où des Algériens galéraient, le corporatisme du personnel navigant commercial a signé, sans le savoir, son échec.