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LOGIQUE DE GANGSTERS

par K. Selim

Pour le régime syrien, la visite de l'ambassadeur des Etats-Unis à Hamma est presque une aubaine. Dans l'esprit des flics au pouvoir, Robert Ford masquerait les 500.000 Syriens qui sont sortis à Hamma pour dire leur rejet absolu du régime. La présence du représentant de l'Empire dans la ville ensanglantée hier par Hafedh Al Assad, et en révolte aujourd'hui contre le régime qu'il a légué à son fils, est censée démontrer l'existence d'un complot ourdi.

 En réalité, le régime de Damas avait le moyen d'empêcher l'ambassadeur américain de le faire et il semble ne pas l'avoir fait pour avoir un «argument» à mettre dans sa mauvaise propagande. La visite de l'ambassadeur Robert Ford - qui a fait l'Algérie et qui aime bien faire dans l'activisme un peu spectaculaire - supplante dans la propagande officielle un fait politique énorme et massif : les Syriens ne veulent plus du régime.

 Cela fait cinq mois que les Syriens sortent dans la rue, meurent, enterrent les leurs et reprennent la rue. Cela fait des mois que le régime réprime avec férocité en escomptant une usure de la contestation. Cela fait des mois qu'il est manifeste que cette politique ne mène nulle part?, hormis de paver le terrain à l'ingérence étrangère.

 Car il faut le dire et le répéter : ceux qui sont dans la rue réclament la liberté et des droits fondamentaux, ils ne sont pas demandeurs d'intervention étrangère. C'est le régime qui, dans une logique parfaitement tordue, cherche une intervention extérieure qui donnerait une légitimité à sa course folle vers la destruction de la Syrie. La visite des ambassadeurs américains et français permet un armement de la propagande officielle contre la contestation? Mais cela restera sans effet.

 La contestation en Syrie n'est pas télécommandée par la CIA, elle est bien le produit de la maturité politique des Syriens, de leur rejet de la brutalité d'un régime fermé sur lui-même, incapable de se projeter dans l'avenir. Le régime paraît incapable de prendre acte qu'il est impossible de rétablir l'ordre de la peur. Il continue à réprimer et à chercher à faire un procès en trahison à ceux qui le contestent.

 Un esprit mesquin peut-il saisir cette immense volonté des gens d'être libres ? Personne ne peut croire que le régime policier de Damas ne savait rien de la promenade de M. Ford. Au contraire, on imagine sans peine l'enthousiasme avec lequel les services syriens ont suivi son déplacement mètre par mètre en se frottant les mains et en clamant qu'ils allaient enfin « confondre » l'opposition. C'est totalement puéril.

 Cela renseigne parfaitement sur le fait que les gens du régime n'ont pas pris la mesure de l'ampleur du rejet qui s'exprime dans la population. En jouant à fond la répression, le régime syrien escomptait rétablir la peur : il ne récolte que plus de révolte. La cruauté avec laquelle le chanteur de la révolte syrienne, Ibrahim Kachouch, a été tué après qu'on lui eut arraché les cordes vocales, est édifiante. Ce côté spectaculaire de la mort donnée est censé créer de la dissuasion : il ne fait que provoquer une nausée générale et une détermination contestataire plus grande.

 Le régime n'a aucune vision politique. Il est dans une logique de gangsters qui va être désastreuse pour le pays. Toutes les intentions proclamées de dialogue sont démenties au jour le jour par une accentuation de la répression. La politique est un moyen d'organiser les changements de la manière la moins coûteuse pour un pays. En Syrie, malheureusement, la politique n'a toujours pas droit de cité. Le régime policier ne peut pas entraver le changement qui s'est déjà exprimé, il est en train de faire jouer sa capacité de nuisance et fait payer un coût très élevé aux Syriens.

 Ce régime est totalement aveugle. Il a vu un Américain à Hamma. Il n'a pas vu Hamma. Il n'a pas vu 500.000 Syriens?