Le groupe marocain Lemchaheb a réussi l'épreuve
de passage devant le public oranais, ignorant, pour certains, jusqu'à
l'existence de la chanson style «ghiwan». Dès
l'arrivée de la troupe sur scène, des milliers de gorges ont commencé à clamer
« le peuple veut Billal ». Ce qui n'a pas manqué de
provoquer une panique, notamment chez les organisateurs. Il a fallu
l'intervention de Aoued (Mioued
de son vrai nom), vice-président de l'APC d'Oran, pour
ramener l'ordre. Il faut signaler que la troupe a un peu impressionné par sa
tenue traditionnelle aux couleurs de feu. Mais dès les premières notes de
musique, Lemchaheb ont suscité la curiosité du public.
Mieux, ils ont réussi même à tétaniser un public venu pour s'éclater sur des
sonorités faisant partie de son vécu. Durant les deux premières chansons, les
milliers de jeunes qui avaient investi le théâtre de verdure deux heures
auparavant sont restés carrément médusés. La prestation de Lemchaheb
ne pouvait pas s'éterniser ainsi. Fort de leur métier et surtout de leur
expérience, ils ont vite fait appel aux rythmes aux sonorités du bendir notamment. Ainsi, ils ont réussi à faire danser une
partie du public. En mobilisant des rythmes africains, ils ont dû toucher une
fibre chez des jeunes nés et grandis dans une ambiance dominée par la sonorité
raï. Il est à préciser que les textes de Lemchaheb, pourtant
dénonçant la hogra et les formes de despotisme, n'ont
pas été saisis par l'auditoire. Donc, il fallait jouer surtout sur le registre
musical. Même sur ce plan, les plages musicales de cette troupe sont un peu
dénudées surtout pour un public nourri par des styles privilégiant la
cacophonie. Lemchaheb, programmés avant Bilal, ont tenu pendant une bonne heure. Ce qui est un
exploit. Par moments, ils ont pu créer un espace de fusion avec le public. Surtout
quand ils ont fait certaines démonstrations musicales très saccadées et très
rythmées. Ils se sont retirés au moment où le public a commencé à manifester
son impatience. Ils ont été longuement ovationnés. Ce qu'on peut retenir de
leur prestation est cette disposition du public à découvrir d'autres styles
musicaux. De ce point de vue, le pari des organisateurs, comportant des risques
réels, a été relevé.
L'arrivée de Bilal sur scène a coïncidé avec
celle de Khaled au théâtre de verdure. Ce qui a provoqué un remue-ménage chez
les responsables et des services de sécurité. Notons que Khaled est resté
bloqué durant presque une journée à l'aéroport de Paris à cause des retards des
vols d'Air Algérie vers Oran. Mais son « intrusion » au théâtre de verdure et
ce qu'elle a provoqué n'a pas été du goût de Bilal qui a balancé une vanne à l'adresse de son aîné. « Ould Kmine (déformation du nom du
quartier de Khaled est probablement volontaire) est là », lance-t-il. C'est de
notoriété publique que les deux chanteurs ne s'apprécient pas. Cette arrivée
inopinée de Khaled n'a pas perturbé le moins du monde le public venu pour Bilal. A croire que la renommée de celui qu'on nomme le
King a accusé un coup chez les jeunes. Précisons que le public était très
hétéroclite, avec une prédominance nette de jeunes dont beaucoup d'enfants. Bilal, fidèle à lui-même, a étalé son style un peu
goguenard. Sans conteste, il a fait danser ses milliers de fans durant toute sa
prestation. Mieux, ces derniers ont scandé des refrains de ses chansons. Enchaînant
chanson sur chanson, des fois en demandant au public ses préférences, il a pu
maîtriser les élans de ses adorateurs. Des femmes, se trouvant au milieu de
paquets de jeunes garçons, ont pu danser sans être le moins du monde être
embêtées. Ce qui donne réellement à réfléchir. Sur ce plan, ajoutons que c'est
la quatrième soirée de ces festivités marquant le quarantième neuvième
anniversaire de l'indépendance qui se passe sans le moindre incident notable. Les
policiers présents sur place n'avaient pas trop à faire. En tout cas, après
Alloua, Bilal a terminé sa soirée en apothéose. Il a
cédé plus d'une fois à ses fans avant de se retirer. Après ce succès, il doit
probablement prêter une oreille attentive aux échos de la soirée que doit
animer Khaled. En attendant le verdict de ce duel à distance, disons que Bilal, et il l'a prouvé à deux reprises, a
son public à Oran. Le renversement des hiérarchies n'est pas exclu par les
temps qui courent.