Parmi la trentaine de toiles d'Othmane Mersali exposées chez l'Espace Lotus-Pigier,
l'une d'elles ressort du lot. Elle est nue, de couleurs sombres parce que
peinte à l'huile et ne porte pas de nom. Elle date de 1991 et son créateur l'a
marquée, volontairement ou par inadvertance, avec l'identifiant «sans titre». Pourtant
à voir de plus près cette toile, elle comporte la genèse de toutes les autres
exposées. Autrement dit, elle annonce la production à venir de Mersali. Du moins sur le plan de la technique. On y repère
des formes géométriques carrées et rectangulaires que le peintre adoptera comme
technique de travail. Certains nomment celle-ci «le semi-géométrique».
En fragmentant l'espace de la toile en des formes géométriques, pas forcément
parfaites, le peintre s'offre toutes les latitudes pour y dispatcher sa palette
de couleurs. Cette technique, utilisée par d'autres, se
retrouve pratiquement dans toutes les toiles exposées de Mersali.
Mieux, elle coïncide parfaitement avec un sujet récurrent dans l'œuvre de Mersali, à savoir les ruelles. S'exprimant sur sa méthode
de travail, le peintre nous a confié qu'il lui arrive de prendre une photo de
ce qu'il appelle «le cadre» (une venelle) qu'il reproduira et chargera de
peinture par la suite. Doit-on pour autant réduire son travail à celui d'un
simple coloriste? Sûrement pas. Mersali
a sa propre touche qui le distingue de ses pairs. En jouant des contrastes des
couleurs, il réussit à dégager une sorte de lumière. D'ailleurs, quand il parle
de son travail, il évoque cette lumière, traduite dans différentes variantes
dans son œuvre, qui illumine ses toiles. Notons qu'il semble préférer
l'acrylique sur la peinture à l'huile, parce qu'elle offre de meilleures possibilités
sur le plan du rendu. Le recours à des couleurs contrastées confère une
luminosité à la toile et aussi une profondeur aux travaux de Mersali. Sa toile n'est pas un simple espace lisse et fini.
Les ruelles (des nombreuses villes où le peintre a dû déambuler) et qu'il a
reproduites dans sa peinture se prolongent au-delà de la toile. En scrutant
attentivement n'importe laquelle de ses toiles (rue de Marrakech ou d'Oran ou
Kasbah d'Alger), notre regard est emporté et cherche à aller au-delà des limites
physiques de la toile elle-même. Le peintre réussit à créer chez le visiteur de
son exposition, une envie de s'enfoncer d'avantage dans les labyrinthes qui
reviennent dans ses toiles. Au fait, la peinture de Mersali
interpelle d'avantage les sens que l'intellect. C'est une invitation au
voyage, à la découverte, à l'aventure. Mais elle n'incite pas à la réflexion
philosophique ou existentielle. Elle ne pose pas à celui qui la regarde des
interrogations angoissantes. Contrairement à ce qu'il avance lui.Certains tableaux, notamment exposés en ce moment à l'
Espace Lotus-Pigier, sont une célébration du festif, du
beau, de tout ce qui peut réconcilier avec une ville? Tel «le marché de fleurs».
D'autres versent presque dans le style naïf où on ne peut pas s'empêcher de
relever l'usage du cliché. C'est notamment le cas de la nouvelle version du
«faubourg d'Oran» peint quelques jours avant l'exposition où la femme en haïk (voile
traditionnel) occupe une place démesurée dans la toile. Un critique d'art
rencontré sur place parlera avec enthousiasme de cette «résurgence du haïk avec
sa charge sensuelle». Un accoutrement totalement disparu. Oran où vivait Mersali est trop présente dans cette exposition : Scalera, port de pêche, Mdina Djdida... Des endroits évoquant indéniablement une certaine
nostalgie. Mais il est à remarquer que Mersali a
produit des tableaux se rapportant à d'autres villes méditerranéennes notamment.
Mais où peut-on ranger la peinture de Mersali ? Lui-même
et certains de ses pairs s'accordent pour la qualifier de semi-figurative.
Mais certaines œuvres vacillent entre le figuratif et le semi figuratif et
d'autres peuvent être considérées comme abstraites. Surtout quand on masque
l'un de ses détails. Décidemment, Mersali
fait partie de cette génération d'artistes algériens qui ont tenté de se frayer
leur propre chemin sur le plan pictural sans trop se soucier des grandes
tendances ou écoles de la peinture universelle.
En érigeant le local (leur univers
de provenance) en source d'inspiration, cette génération a, peut être à son
insu, participé à l'enrichissement du patrimoine de l'humain. Donc, elle peut
se revendiquer de l'universel.