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La chaîne Al-Jazira a rapporté avec une
remarquable sobriété la
nouvelle de la condamnation par le tribunal militaire du Bahreïn
- autant dire par le roi en personne - des opposants à la détention à vie.
On ne peut reprocher à la chaîne de «faire sobre» ; pourtant, la proximité géographique aurait dû l'inciter à y mettre un peu plus d'entrain ou une fraction raisonnable de sa couverture délirante de la Libye. Les chaînes concurrentes - France 24 ou BBC - ne s'y sont pas trompées. Elles ont choisi de donner la primeur à l'information, que la chaîne qui fait, «zaâma», la révolution dans le monde arabe a décalée en troisième position. Il y avait pourtant à dire dans cette « embarrassante» affaire bahreïnie, où des forces saoudiennes et émiraties sont venues participer à la répression de manifestations pacifiques pour la réforme et le changement. Al-Jazira, qui sait manier parfois la dérision, aurait pu ainsi s'en donner à cœur joie et faire de jolis jeux de mots sur un dialogue politique annoncé par le monarque du coin pour juillet et la prison à vie décidée à l'encontre des opposants. Le roi Issa Ben Hamad El-Khalifa, généreux hôte de la 5ème flotte américaine, fait preuve d'un singulier humour. Certaines mauvaises langues disent qu'il met en prison à vie les opposants pour être certain qu'ils dialogueront de gré ou de force. Bien sûr, ces Bahreïnis, qui ont pour la plupart d'entre eux le défaut d'être chiites, sont accusés de complot et d'avoir «formé et dirigé un groupe terroriste visant à changer la Constitution et le régime monarchique ». Quelqu'un a-t-il jamais entendu parler de groupes terroristes qui s'intéressent à un changement de Constitution ? L'assertion est un mauvais comique. Mais la majorité des Bahreïnis, qui ne sont pas des terroristes, sont effectivement pour un changement qui leur garantisse plus de libertés et de droits, qui permette l'instauration d'une vraie monarchie constitutionnelle. L'accusation est fallacieuse. Elle est aussi raciste. Il y a au fond une présomption de culpabilité et d'intelligence avec un pays étranger - en l'occurrence l'Iran - par le simple fait que l'on est chiite. Le fait que parmi les condamnés figure Ibrahim Chérif, dirigeant sunnite du mouvement de gauche Waad, montre que tous les sunnites, travaillés par la haine de l'autre, ne tombent pas dans les manœuvres de diversion. Ces condamnations montrent que le «dialogue politique» annoncé par le grand ami des Américains est de l'esbroufe, de la poudre aux yeux. Il faut bien prendre acte du fait que les Bahreïnis, qui luttent pour l'égalité juridique entre les citoyens et pour la dignité, n'ont pas face à eux le seul autocrate local. Ils doivent faire face aussi au régime archaïque de l'Arabie Saoudite qui ne supporte aucun changement et qui a même décidé d'intégrer dans le Conseil de coopération du Golfe les lointaines monarchies de Jordanie et du Maroc. L'Arabie Saoudite, où les chiites sont en général des laissés-pour-compte, entend étouffer dans l'œuf toute avancée pour éviter la contamination. Les Bahreïnis font également face à la grande démocratie américaine, locataire du Bahreïn pour sa 5ème flotte. D'éternels optimistes ont cru percevoir dans le dernier discours d'Obama au monde arabe une petite pression et une incitation à la monarchie pour s'ouvrir et dialoguer. L'autocrate a bien annoncé l'ouverture d'un dialogue pour le mois de juillet. Mais avant, il a décidé d'enfermer ceux avec qui il est censé dialoguer. Un dialogue entre le geôlier et le prisonnier : vraiment, Al-Jazira a bien raté une occasion de persifler ! Mais Manama, c'est trop près de Doha et de Washington pour qu'Al-Jazira insiste. |
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