
C'est
une habitude maintenant : lire les intentions du Pouvoir dans les chiffres de
notre argent. Pour cette année, beaucoup l'ont remarqué, la Loi de Finances complémentaire
2011 prévoit les deux plus gros budgets pour le ministère de la Défense et pour le
ministère de l'Intérieur. De quoi vous surveiller, de quoi vous frapper. Le
Pouvoir se méfie de vous, vous surveille, surveille vos approches et votre
nombre, il s'inquiète de la foule et de l'effet de foule. C'est le propre des
régimes arabes : dès que Benali a fui, l'Arabie
Saoudite et Kadhafi ont multiplié les commandes d'armes et de moyens
antiémeutes. On pourra vous raconter ce que l'on veut, le chiffre ne ment pas :
c'est le seul concept qui indique la vérité avec le doigt, pas avec le menton. D'abord,
la première vraie augmentation de salaire en Algérie a été pour les policiers, la
seconde pour les gardes communaux. Et cela se comprend : quand il y a crise de
logement, de salaire, de légitimité ou de droit, il n'y a pas d'institutions, d'élus,
de médias ou de hauts cadres pour en parler, mais seulement «La Police». Le Pouvoir se
compose, dans tout le monde arabe, de dix «élus» par Dieu et de 50.000
policiers bien payés. Tout le reste c'est du bavardage. Et les armées ? On sait
à quoi elles servent : aucune armée arabe n'a gagné une guerre contre un
étranger mais toutes les armées arabes ont gagné des guerres contre les leurs. Aucune
armée arabe ne peut prétendre tenir plus de trois jours devant l'OTAN, mais
tous les putschistes restent capables de tenir 40 ans au Pouvoir. Aucune armée
n'est tournée, armes et miradors, vers l'extérieur, mais toutes regardent avec
méfiance le front intérieur. Le «printemps arabe» l'a bien démontré, dans le sang
ou la ruse. C'est l'âge préhistorique de l'institution de l'Etat : il y a le
chef barbare et les siens, la matraque et l'impôt. Tout ce qui a été inventé
par les Grecs a été mis de côté par les dictateurs arabes. Sauf l'Olympe.
Donc une question : pourquoi le policier, qui
fait partie du peuple et pas du sommet du Pouvoir, met-il tant de plaisir et
d'application à frapper le peuple quand le peuple manifeste ? C'est une
question qui intrigue, à chaque fois, le chroniqueur quand il voit avec quelle
jouissance, presque charnelle, un policer algérien frappe un médecin algérien. Dans
le geste, il n'y pas que l'exécution d'un ordre, mais l'orgasme d'une puissance
et la violence d'une vengeance. Rarement un Algérien exécute son travail aussi
bien ! Le policier est cette partie du peuple qui déteste le peuple des lettrés
et leur fait payer un millénaire de «collaboration» supposée avec tous les
envahisseurs : le lettré est mal vu et avec application par la matraque. C'est
une piste. L'autre piste est que le Policer (au sens générique et pas seulement
de corps et d'institution) est bien endoctriné par la doctrine majeure du
Pouvoir contre le peuple : «On frappe le peuple dans l'intérêt du peuple». «On
surveille le peuple contre lui-même». «Sans nous, le peuple est capable de se manger lui-même». On frappe tout le monde, un par un, au
nom de tout le monde. C'est la seconde piste. Elle se tient, mais l'hypothèse
du plaisir solitaire reste la meilleure. Et si on y ajoute la LFC, cela donne du bonheur
pour beaucoup. Dans tous les cas, le Pouvoir a compris : il n'a besoin que du
baril et de la matraque. Pour le reste des phrases, l'ENTV
se charge bien de les inventer. D'ailleurs, les colons l'avaient dit bien avant
: pourquoi instruire les indigènes si, à la fin, ils vous demandent
l'indépendance ?