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La racaille qui a le mieux servi le Pouvoir

par Kamel Daoud

D'un coup, on en parle : les islamistes. Pas ceux qui vendent les sables des plages dans le cadre de la «Réconciliation par le haut» ou ceux qui se font payer, mais les autres, les affreux, ceux qui font peur à l'Occident et rappellent de mauvais souvenirs aux morts qui veulent se reposer. La raison ? Deux : ils veulent aussi leurs parts de la distribution des rôles politiques par le Pouvoir et ils sont convoqués pour faire un peu peur, «plomber» les réformes, rappeler l'ogresse et noyer la demande de démocratie dans le vieux débat 92. Le jeu politique du Pouvoir s'ordonne sur deux registres depuis peu : une sorte de carnaval par la commission Bensalah dont la liste des invités rappelle un peu le jeu du multipartisme à 60 partis inventé il y a vingt ans pour faire rire les Algériens de la démocratie, puis, en bruit de fond, un forcing pour faire remonter le pays vers la scène traumatisante de l'irruption du FIS. Le pire est que, encore une fois, les islamistes y croient. Ils croient qu'ils sont représentatifs du pays, qu'ils en incarnent la volonté profonde, le parti unique du cœur et croient encore qu'ils sont interlocuteurs. Il y a de la colère à voir ces vieux serviteurs de la dictature jouer encore une fois le jeu de la cupidité et s'installer comme les époux légitimes de cette terre et de ses enfants.

 Et c'est ce qu'il y a de plus détestable chez ces gens là : leur opportunisme, leur capacité à faire marcher les cadavres pour lécher le pied du trône et se rouler sur le tapis de la présidence. Car la vraie alliance, la vraie coalition n'est pas celle du RND-MSP-FLN, mais celle entre le Pouvoir et les islamistes. Ceux-là qu'on convoque à danser dès que la menace de changement se fait précise et insistante, que l'on montre aux Occidentaux comme un criquet ravageur à peine domestiqué par l'état d'urgence et la démocratie spécifique et qu'on laisse s'agiter quand un ministre des puissances annonce vouloir venir discuter des nouvelles règles du jeu.

 Le chroniqueur en veut à cette racaille pour sa servilité politique, son opportunisme, sa vocation moyenâgeuse et parce que ces gens là lui ont volé les meilleures années de sa vie, ont détruit le pays sous ses pieds, tué des gens par milliers et parce qu'à l'âge où il voulait vivre, voyager, connaître l'arbre et la nuit étoilée, le désert et la paix du banc public, ils sont arrivés pour tout détruire et veulent revenir encore et servir le Pouvoir, encore une fois, mieux qu'une armée de tanks. Ces gens là qui privatisent Dieu, s'installent comme des guichetiers entre l'homme et le ciel, réduisent la femme à un pubis honteux et la quête du sens à des ablutions, n'ont pas chassé Benali, ni Moubarak, n'osent pas mourir mais poussent de plus jeunes à se suicider, n'ont fait aucune révolution pendant ce siècle, n'ont rien scandé sauf des interdits, ne sont pas descendus dans la rue et ont tué des milliers de gens, ces gens là sont brusquement là pour «négocier», s'installer comme parties, parloter et «penser» l'avenir selon leurs névroses, comme si de rien n'était, simplement, dans l'aisance du bien-vacant et sans honte ni gêne. Une racaille qui comme le Pouvoir s'enorgueillit d'avoir «ses martyrs», a volé, a tué comme le Pouvoir, a massacré, a usurpé et qui redescend des maquis avec la conviction qu'elle parle en notre nom et qu'elle a droit à un butin et un électorat. Comme le Pouvoir qui lui ressemble tant dans les manières, et à qui elle veut ressembler dans l'intimité.