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1°
- Extrait d'un journal: «Né le 12 février, Messali Hadj est un jeune Algérien
qui a été retrouvé mort le 3 juin. Entre-temps, pendant qu'il racontait qu'il
est capable de fabriquer un pays avec ses mains, la police l'a violemment
frappé, interpellé, mis en cage et giflé pendant la première marche pendant
laquelle il tenta de marcher hors de sa tombe vers sa date de naissance. Arrêté
car ne possédant aucune pièce justifiant de son identité, M. H. a expliqué que c'est un certain Boumediène qui lui a volé
ses papiers. «Boumediène qui ? Quelle ville ?», l'interrogea le commissaire. M.
Hadj a montré du doigt l'aéroport d'Alger pendant que le policier montrait du
doigt sa matraque. Relâché, Messali a été aperçu par la suite dans le stade du
quartier appelant la foule à se soulever pour retrouver la liberté qui avait
trois couleurs: blanc, vert et rouge, selon les couleurs de la robe de sa copine
de quartier. Arrêté encore une fois, il sera frappé, désossé, mis en pièce et
interrogé par les policiers qui ne comprenaient pas d'où il venait parce qu'il
avait une peau de 18 ans et un regard de 132 ans. Selon ses antécédents, il a
déjà fait de la prison un peu partout en Algérie, en France et même en Guyane
ou à Cayenne. Il connaît Chakib Arslane, (Arsenal, l'équipe de foot ? a demandé
le flic), une société qui s'appelle la Société des Nations et des opposants recherchés
par les livres d'histoire et de géographie. Le policier, qui ne comprenait
rien, lui demanda comment se fait-il qu'il soit de Tlemcen avec de meilleurs
amis qui habitent en Kabylie ? «Tu ne comprendras pas», répondit Messali H.,
«tu n'es pas encore né», ajoutera-t-il avant de recevoir une gifle. Relâché
après le match et l'arrestation et la marche et la naissance, M. H. se
retrouvera pris dans une marche du CNCD qui sera dispersée par de violents
coups de trique, ce qui ne contribua pas à expliquer l'énigme qui taraudait
l'esprit du jeune Messali 22 ans: «Pourquoi les policiers français parlent une
langue algérienne en frappant les Algériens qui refusent l'Algérie française
?». Question mal posée, car posée après 62, alors que M. H. est né avant et
l'Algérie pas encore, longtemps après.
2° - Demain, Messali Hadj va donc mourir. Un peu plus profondément et plus complètement chaque 3 juin. Sur sa tombe qui tombe en ruine, signe de sa disgrâce sans fin, quelques militants prévoient de se réunir pour le rappeler à la vie. Des vieux du PPA que le FLN n'a pas encore tué par l'ennui comme il l'a fait pour nous. Il y a un an, cela n'aurait même pas été un fait divers, aujourd'hui, cela prend le sens d'une prière. Car le pays est en crise: avec Messali, il a tué le Père; avec la suite, il a tué les fils. Du coup, il n'a plus personne que ses espadrilles. Du point de vue de la chronologie, il y a matière à réflexion: à l'époque où Messali était l'Etat avant le pays, les gens du Pouvoir étaient des gamins révolutionnaires sans facebook ni El-Jazeera. Il a appelé au dialogue, ils ont appelé aux armes. Aujourd'hui que les révolutionnaires sont devenus des Etats et des pouvoirs, ils font ce que Messali a fait: ils appellent eux aussi au dialogue pendant que la révolution prend les armes. Vieux et barbu, il a été mangé par une descendance jeune et insolente. C'est ce qui va arriver au Pouvoir et ses Belkhadem. La comparaison est fragile mais tout cela pour en arriver à la bonne question: Qu'aurait dit Messali à Bensalah si Bensalah était vivant ? En vrai Tlemcénien, Messali se serait peut-être étonné qu'un vrai Tlemcénien possède seulement un aéroport alors qu'un Mcirdi possède un Sénat et le pouvoir à Alger. Mais Messali ne le dira pas, par politesse. Confiant dans les règles de l'histoire qui divise les méchants et les bons par les actes, il demandera qui, chez le Pouvoir, a pris les armes, a fait de la prison à la place du pays, a reçu des coups ou a été frappé et malmené et qui a fait des grèves et qui est capable d'enflammer les foules et de dessiner le drapeau les yeux fermés et constatera que le colonialisme n'oppose pas deux nations mais seulement deux esprits et deux façons de voir l'esprit. Retour à la question: qu'aurait proposé Messali si Bensalah était vraiment vivant ? La fin du FLN sûrement. Il faut un parti unique pour faire la guerre mais le pluralisme est nécessaire pour continuer la paix. D'ailleurs, Messali n'aurait jamais été invité à la Présidence: il n'est pas suffisamment mort et le PPA est toujours interdit, contrairement au FIS. Messali était un Tlemcénien aimé par les Kabyles, soutenu par des Relizanais, admiré par tous les Algériens, sans adresse ni biens en France, capable de remplir un stade par son charme et pas par les bus, Père d'une nation et pas d'un seul Belkhadem, élu par le peuple et pas par un avion ou une armée, choisi par le destin et pas par des généraux et qui est mort trahi comme le seront des millions d'Algériens même encore vivants. Autant de raisons qui font qu'il ne sera jamais invité pour faire des réformes avec la langue. |
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