A notre âge, nos parents avaient du travail, une maison, des enfants. Quand
aurons-nous tout cela ?» Paula Mendez Sena, une jeune architecte de 24 ans, s'interroge avec
angoisse sur son avenir, à l'image des milliers de jeunes qui occupent la Puerta
del Sol à Madrid. «Jeunes sans avenir» : ce slogan en
lettres jaunes sur fond noir a donné son nom à la vague de contestation, née il
y a quelques semaines en Espagne via les réseaux sociaux. Une première
manifestation le 7 avril, puis le groupe a fait boule de neige, s'est élargi, a
rejoint d'autres plateformes citoyennes, faisant germer le mouvement spontané, sans
précédent, qui a déferlé en moins d'une semaine sur les rues et les places de
toutes les villes d'Espagne. Des citoyens de tous horizons ont rejoint la cause
des jeunes, première cible du chômage qui gangrène la société espagnole. Paula
n'a jamais trouvé d'emploi depuis son diplôme d'architecte, il y a 2 ans. Avec
son compagnon Carlos Peral, 25 ans, sans emploi lui
aussi après des études d'ingénieur, elle vient chaque jour rejoindre les
manifestants qui campent à la Puerta del Sol.
Pas question dans ces conditions d'envisager un avenir. La jeune femme vit chez
ses parents, qui subviennent à ses besoins, dans une banlieue de Madrid. «Dès
que je pense à cela, j'en envie de pleurer», confie Paula. «Nos parents nous
aident, mais c'est difficile de ne pas avoir d'argent pour construire notre
propre projet de vie. Je ne sais pas quelle est la solution, mais les choses ne
peuvent pas rester ainsi». «Si vous ne nous laissez pas rêver, nous ne vous
laisserons pas dormir», proclame une des banderoles accrochées dans le camp. Le
mouvement, qui s'inspire en partie, par les méthodes sinon le contenu, des
révoltes dans le monde arabe, a pris naissance sur la place la plus
emblématique du Vieux Madrid. «De Tahrir à Madrid, au
monde, world revolution», proclamait une grande
banderole, en lettres noires, que préparait vendredi, à la Puerta
del Sol, un groupe de manifestants de la «Spanish revolution». «Les
révolutions dans les pays arabes ont démontré que l'action collective peut
cristalliser le changement», assure Pablo Padilla, étudiant
en anthropologie de 22 ans, l'un des leaders de «Juventud
sin futuro». «Ce qui ne mène à aucun changement c'est
de rester assis sur son canapé», ajoute l'étudiant, qui,
après un an et demi sans travail, a commencé en avril un stage de trois mois
dans un site Internet, payé 300 euros par mois. Selon Jose
Feliz Tezanos, sociologue à
l'université UNED de Madrid, les réseaux sociaux ont fourni aux jeunes
mécontents un «lieu de rencontre» qui n'existait pas auparavant. «Les réseaux
sociaux sont le terreau du mouvement. L'environnement n'est pas explosif, mais
il est inflammable», remarque-t-il. «Une étincelle suffirait à faire éclater un
conflit d'une ampleur significative». Outre le chômage qui touchait en février 44,6%
des moins de 25 ans, plus du double du niveau national, l'un des ingrédients du
malaise, souligne M. Tezano, est aussi la «précarité
de l'emploi», contrats temporaires ou stages sous-payés, qui concerne les deux
tiers des jeunes salariés. «Quand j'étais étudiante, jamais je n'aurais imaginé
me trouver dans cette situation. Je me disais toujours qu'avec du travail et
des efforts les portes s'ouvriraient», se souvient Claudia Ayala,
32 ans, qui le soir rejoint avec des amis les manifestants de la Puerta
del Sol. La jeune femme, malgré un diplôme de
linguistique, est obligée de travailler à temps partiel dans un magasin de
vêtements. «Ils enlèvent tout espoir à des milliers de jeunes dans ce pays.
L'Espagne supporte, supporte, mais un jour arrive le moment où on dit
assez. Et ce moment est arrivé. Ce n'est plus le temps de l'indignation, c'est
celui de la réaction».