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Précédé par une polémique sulfureuse et dénoncé depuis Le Caire par des
pétitions multiples et variées, le film «18 jours» réalisé par un collectif de 10
cinéastes cairotes a été dévoilé à Cannes dans le cadre d'un hommage à l'Egypte.
Enfin on allait enfin voir ces dix courts-métrages célébrant la révolution égyptienne. Le jeune (31ans) Marwane Hamed (le réalisateur de L'immeuble Yacoubian) est à l'origine de ce projet né dès les premiers jours des affrontements sur la place Tahrir. «Au début ces films de fiction étaient destinés à être postés sur Youtube», a précisé le doyen des cinéastes du collectif Yousry Nassrallah. Présent à Cannes la star Amr Waked, qui joue dans le petit film signé Marwane Hamed, a boycotté la projection et la fête animée par le groupe Wast Al Balad. Dans une lettre adressée à Thierry Frémaux, le délégué général du Festival, Amr Waked explique son départ de Cannes le jour de la projection par la présence d'artistes qui ont «collaboré avec l'ancien régime» et qui ne se sont pas encore «réconciliés» avec le peuple. «Beaucoup sont en colère en Egypte et attendent au minimum des excuses, c'est légitime», a-t-il expliqué. Les personnalités mise en cause sont l'actrice Yousra qui aurait d'abord vilipendé les «voyous de la place Tahrir» avant de s'excuser et les réalisateurs Sherif Arafa et Marwane Hamed qui se voient reprocher d'avoir « réalisé gratuitement des publicités pour la campagne présidentielle de Hosni Moubarak en 2005 ou pour l'ex-Parti national démocratique». Cette polémique est intéressante à plus d'un titre car elle illustre les difficultés de la transition. Amr Waked a bien entendu raison de demander que les deux cinéastes - dont un est son ami - de s'excuser publiquement, mais Yousri Nasrrah a mille fois raisons de faire remarquer que cette polémique «risque surtout de diviser le camp des démocrates et rappelle les pires moments des purges et des chasses aux sorcières de l'histoire». Polémique contre-productive donc selon Yousry Nasrallah qui a précisé : «Soyons honnêtes, nous avons tous été à un moment ou un autre obligés de faire avec les pouvoirs en place pour pouvoir travailler». Notons que cette polémique égyptienne ressemble à leur révolution: passionnante, passionnée mais absolument pacifique : les protagonistes s'embrassent après s'être bien disputés. Le jour où notre tour viendra, serions-nous capables, à la manière des Egyptiens, d'étaler nos différences et de régler nos différents sans dégainer les armes de la haine ? Revenons au film en lui-même. Surprise «18 jours» est dans l'ensemble un très bon film (vous pouvez voir de larges extraits sur Youtube). Le bureau de la censure ne fonctionnant pas pour cause de flottement au niveau des institutions de l'ancien régime, les jeunes réalisateurs égyptiens ont pu concocter des petits chefs-d'œuvre. Film sur la révolution et film révolutionnaire en même temps. Totalement réussi ? Presque. Mais il est intéressant de noter que sur les 10 films, 8 sont excellents et que les deux autres sont ceux des « vieux» cinéastes Yousry Nasrallah et Sherif Arafa. Le premier évoquant la peur des bourgeois du quartier huppé d'Al Zamalek au début de la contestation (pas mal sans plus), le deuxième réunissant dans un asile un échantillon de la société égyptienne qui va suivre et commenter les événements à partir de leurs traitements par les chaînes de télévision (démonstratif). Les autres films réalisés par la nouvelle génération sont autrement plus audacieux, tous originaux et tout à fait réussis. Autant de regards justes et percutants sur la société contemporaine égyptienne. La bonne idée de ces 8 films est dans son parti pris de filmer les gens qui ont été surpris par les soulèvements et emportés par leur dynamique. Pas de héros héroïques donc, aucun des réalisateurs n'est tombé dans le piège de glorification à outrance. Ainsi ce petit tailleur qui a sa boutique près de la place Tahrir et qui aux premiers tirs baisse les rideaux et va vivre reclus les premiers jours de la révolution sans savoir ce qui se trame dehors : est-ce Israël qui nous bombarde ou le ciel qui nous tombe sur la tête ? Tout aussi drôle le film sur les vendeurs de drapeau sur la place Tahrir qui n'hésitent pas le lendemain à vendre les portraits de Moubarak pour ses partisans. Mention spéciale pour Meriem Abou Ouf pour son film sur un baltagui qui va se laisser convaincre d'aller tabasser les manifestants de Tahrir. Et puis comme il s'agit de cinéma égyptien, sur fond de révolution il y a des histoires d'amour émouvantes, drôles, cocasses, jamais mièvres. Puissant et réussi «18 jours» est un film historique dans tous les bons sens du terme. Et ce vent révolutionnaire arrive jusqu'à Tanger où Leila Kitani a réalisé son premier long métrage «Sur la planche» présenté a la Quinzaine des réalisateurs. Née en 1970 à Casablanca, historienne de formation, longtemps journaliste, Leila Kitani s'était déjà fait remarquer en 2008 par un documentaire : «Nos lieux interdits», œuvre de mémoire sur les années de plomb du règne Hassan II. Entièrement tourné sous la pluie à Tanger, son premier long métrage de fiction nous désarçonne avant même le générique du début. Une toute jeune fille marocaine aux traits marqués s'adresse à nous comme dans une mise en garde : «Je ne vole pas : je me rembourse. Je ne cambriole pas : je récupère. Je ne trafique pas : je commerce. Je ne me prostitue pas : je m'invite. Je ne mens pas : je suis déjà ce que je serai. Je suis juste en avance sur la vérité : la mienne.» Elle s'appelle Badia, n'a pas encore 20 ans et pour survivre elle travaille jour et nuit dans cette ville et ses zones franches qui attire les pauvres du royaume. Ouvrière le jour, aventurière la nuit. Le film suit la vie de Badia, de son amie Imane et de deux autres jeunes filles petites bricoleuses de l'urgence. «J'ai écrit le film à partir d'un fait divers. En 2005, je m'amusais à lire dans la presse à scandale marocaine. On parlait d'un nouveau trend : la féminisation de la criminalité. Une bande de quatre filles, un peu ouvrières, mais ce n'était pas tout à fait clair, repéraient des mecs dans les cafés et les dévalisaient?», dit-elle. «Je préfère dire révolution plutôt que printemps. Un magazine français Le Point ou l'Express a titré La révolution hallal, ce qui est ridicule, raciste, scandaleux. Les révolutions arabes ne se sont pas faites en un printemps. Cette génération c'est la mienne, il y a une communauté de comportements, un refus de l'aliénation de l'individu telle qu'on la subit depuis 40 ans. L'écume la plus visible et certainement la moins glamour c'est l'immigration clandestine. Mais ce n'est rien d'autre que l'affirmation de l'individu qui dit «maintenant ce n'est plus possible parce que je n'accepte pas ces conditions-là, je ne peux pas me réaliser dans cet espace-là»? L'interview aurait pu continuer encore longtemps, mais Leila Kilani vient de recevoir une mauvaise nouvelle : ses deux comédiennes viennent d'être refoulées par la police des frontières. Elles avaient le visa en règle, mais n'ont pas expliqué qu'elles avaient une prise en charge par le Festival de Cannes? Fait inédit numéro 1. Lars Von Trier a été prié de quitter Cannes pour ses propos sur Hitler, les juifs et Israël tenus la veille en conférence de presse (voir notre édition d'hier). Le Conseil d'administration a condamné très fermement ces propos et a déclaré Lars Von Trier «persona non grata au Festival de Cannes, et ce, à effet immédiat». C'est une première à Cannes ! La direction du festival dans son communiqué a toutefois précisé que cette sanction n'excluait pas le cinéaste de la compétition officielle pour la Palme d'or (sic !) Visiblement satisfait de s'être fait remarquer de cette sorte, le réalisateur danois «accepte toute décision de la direction du festival pour le sanctionner», selon Meta Foldager, l'une des productrices de son dernier film Melancholia. Fait inédit numéro 2. Des bas-fonds de la Casbah où elle dansait dans des mariages au firmament des stars internationales, elle a gravi, souvent dans la douleur, tous les échelons qui mènent vers la gloire. Ultime étape ce soir avec la montée des marches à Cannes pour Biyouna? |
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