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Des appels de détresse de familles d'enfants atteints de pathologies
cardiaques lourdes risquent de ne pas être entendus à temps en raison du
désintérêt des pouvoirs publics à considérer cette question comme un véritable
problème de santé publique.
Au moins cinq de ces familles nous ont remis copies des lettres dans lesquelles elles font part de leur désespoir face au mur de silence contre lequel elles butent depuis, lit-on dans l'une d'entre elles, «le limogeage du Pr Redha Touati qui a occupé le poste de professeur en cardiopathie à l'hôpital de Bousmaïl, sans aucune explication ». Les familles réclament des explications au ministre du Travail parce que, font-elles savoir, « il n'y a plus personne qui s'occupe de nos enfants malades». Un autre parent de la wilaya de Annaba note même qu'il a envoyé un mail au président de la République pour lui demander, écrit-il, «de faire recruter un spécialiste, un vrai, pour nos enfants, parce que j'ai présenté mon enfant de 8 mois à un autre cardiologue à Annaba : mais il m'a dit qu'il ne pourra pas rédiger un rapport de consultation parce que le petit n'était pas son patient». Ces mêmes familles soulignent qu'elles n'arrivent pas à faire suivre leurs enfants au niveau de la clinique médicale de chirurgie infantile (CMCI) de Bousmaïl «par manque de prise en charge correcte et efficace en l'absence de médecins spécialistes». Ils dénoncent cette prise en otages de leurs enfants qui ne dit pas son nom. Contactés par nos soins, des responsables, bien au fait du dossier au niveau du ministère du Travail, affirment qu'il a été effectivement procédé au licenciement du Pr Touati «pour fautes graves». L'on explique qu'« il y a près de 5 mois, il a été décidé de mettre un terme au contrat qui le lie à la CMCI de Bousmaïl, structure de la CNAS. Mais il est hospitalo-universitaire, il enseigne à Blida, le ministère de la Santé n'a qu'à le récupérer.» Il est précisé en premier que «le Pr Touati est cardiopédiatre et non chirurgien en cardiopathie infantile. Il a été médecin chef à la clinique de Bousmaïl pendant plus de 15 ans. Il faisait des cathétérismes cardiaques (pour une double visée, diagnostique et thérapeutique), mais il ne le faisait pas pour tous les enfants qui le nécessitaient», nous expliquent des spécialistes du ministère du travail. 1.500 enfants malades chaque année «Il envoyait les autres enfants malades à la clinique privée Abou Marouane à Annaba à raison de 2.000 dinars par enfant et 10 à 20% sur chaque cathé qu'il faisait,» ajoutent nos interlocuteurs. L'on note au passage que la CMCI possède la meilleure salle de cathétérisme en Afrique. Il est reproché au Pr Touati «de n'avoir formé aucun médecin durant plus de 15 ans d'activité dans cette structure ». L'Algérie a formé deux cardiopédiatres seulement depuis 1962 : «le Pr Amalou qui est à la retraite (on nous dit qu'il travaille à la clinique Ibn Sina, ndlr) et lui (Pr Touati), a qui on reproche beaucoup de choses », nous disent nos sources. D'ailleurs, affirme-t-on, «il a été pris la main dans le sac quand il a reçu une équipe d'inspection dans cette clinique à Annaba, où il avait pris 60 enfants alors qu'il n'avait pas l'autorisation de faire l'emploi complémentaire». Ce n'est pas la première fois que le Pr Touati fait l'objet de discorde au niveau des milieux de la CNAS. En octobre 2008, on rappelle qu'il a procédé à l'envoi en Jordanie de plus de 30 enfants malades avec l'aide du Dr Krim, assistante auprès du chef de cabinet du ministère de la Santé. Le Pr Touati avait dit à l'époque «au ministre du Travail qu'il a été chargé par le président de la République pour le faire». 4 enfants étaient décédés sur la table, 7 autres ont été rentrés au pays sans avoir été opérés et le reste attendait. (Voir le Quotidien d'Oran du 27 novembre 2008). Il était curieux que le Président décide de faire envoyer des enfants dans un pays qui, disent les spécialistes, n'est pas outillé pour ce genre d'intervention. «En tout cas, il n'est pas mieux que l'Algérie. Chaque année, 1.500 enfants naissent en Algérie avec des cardiopathies congénitales, dont 80% sont des cardiopathies lourdes». La CMCI de Bousmaïl reçoit entre 200 et 300 sur les 1.500 enfants malades par an. Elle envoie plus de 50 dossiers par mois à la CNAS pour leur transfert à l'étranger ou pour des soins dans des cliniques privées conventionnées. «C'est ce que faisait le Pr Touati et ce que fait le Dr Boulaâkakaz, actuellement chirurgien à la CMCI», nous dit-on. Il est indiqué que chaque année, la CNAS envoie plus de 500 de ces enfants vers les hôpitaux de France (hôpital Necker), de Belgique (hôpital de la Reine Fabiola), notamment «parce que ce sont des pays (en plus de la Suisse) qui excellent dans cette spécialité». La CNAS a, en parallèle, a signé trois ou quatre conventions avec des cliniques privées pour leur prise en charge, «mais par des équipes spécialisées ramenées de l'étranger une fois par mois». Ce qui n'a pas réglé le problème, parce que, disent nos sources du ministère du Travail, «la liste des enfants malades est infernale». Le drame est que la prise en charge concerne des enfants dont une grande partie est née avec des cardiopathies lourdes «incompatibles avec la vie. Si on n'opère pas dans les 30 jours qui suivent leur naissance, ils meurent». «Le problème est dramatique» Il doit être affirmé que «20 à 30% d'entre aux décèdent en raison de la complexité de leur pathologie (un cœur univentriculaire)». Il est reproché à «certains médecins de transmettre à la commission nationale de la CNAS une liste d'enfants à transférer à l'étranger alors qu'ils savent très bien qu'ils ne peuvent pas s'en sortir vivants». Pour nos interlocuteurs, « ils le font au lieu d'envoyer ceux qui peuvent être sauvés parce qu'ils ne sont comptables ni devant la loi ni devant l'Etat». On ajoute que « la CNAS n'a pas compétence pour s'opposer aux décisions de la commission nationale, elle est juste un bailleur de fonds». Nos sources notent que «la clinique de Bousmaïl est une petite structure affiliée à la CNAS et s'occupe des cardiopathies infantiles ; mais elle ne peut le faire à elle seule vu l'ampleur du problème et les innombrables cas existants dans notre pays. Il faut en faire une question nationale, c'est un véritable problème de santé publique». Les spécialistes reprochent au ministère de la Santé «de fermer les yeux sur un tel désastre ». Ils dénoncent en premier le manque de suivi des femmes enceintes qui, au cas, disent nos interlocuteurs, «où la maladie est décelée chez le bébé avant sa naissance, les parents devraient être prévenus et des décisions prises. De la sorte, on comptabilisera moins de morts de bébés». Une parente d'un enfant malade a pris attache avec nous pour nous dire que la CMCI a enregistré, mardi dernier, 4 décès de bébés. «Peu importe s'ils sont morts suite aux conséquences d'une intervention ou avant même qu'ils ne l'aient subie. Le drame est que le problème de la prise en charge de cette cardiopathie reste entier et dramatique », relève un spécialiste. Nos multiples contacts avec le ministère de la Santé se sont avérés vains. Ses services sont aux abonnés absents. Comme cela a toujours été le cas. On apprend que les familles des enfants malades de certaines villes de l'est du pays, comme Annaba et Guelma, pensent venir sur Alger pour faire un sit-in devant le ministère de Ould Abbès. Notons que lorsque le ministre a été interpellé par un député sur les raisons du limogeage du Pr Touati, il lui a répondu que c'est le ministère du Travail qui l'a fait et non pas lui. |
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