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L'Algérie est-elle en avance sur les révolutions arabes ou en retard ?». C'est
la question posée aux Algériens quand ils débarquent hors de l'Algérie. Réponse
? Difficile. C'est une question de foi, de réincarnation ou de croyances. Du
point de vue chronologique, nous sommes en avance : à l'époque où Moubarak
était Moubarak et Benali venait tout juste de changer
de femme, nous avons fait ce qu'ont fait les Tunisiens, et le Pouvoir a fait ce
que fait Kadhafi : pierres contre blindés, poitrines contre armée. Mais du
point de vue du concret, nous sommes en retard : là où les Tunisiens en sont
déjà à l'après-Benali, nous en sommes à l'époque du
Bourguiba malade. Problème de synchronisation : à l'époque d'octobre 88, nous
n'avions pas de portables pour filmer, pas d'El Jazeera
pour hurler, pas d'Internet pour contourner la censure. Les morts étaient
nombreux mais même eux ne le savaient pas. Du coup, les Algériens se sentent
coincés : s'ils optent pour le coup d'Etat médical contre notre Bourguiba, ils
risquent la solution d'un Benali algérien. Mais s'ils
ne font rien, c'est le frère de Bachar El Assad qui prend le Pouvoir. Cela se complique quand on sait
que chez nous, comme l'a dit le chroniqueur, le général Tantaoui
est le supérieur du Moubarak local qui est juste vice-président nommé. Est-ce
tout ? Un peu non. La formule se complique davantage, sachant que nous sommes
dans une monarchie à la marocaine avec un vrai Makhzen pétrolier et que le
Pouvoir se transmet en famille par la poignée de main et pas par l'accouplement.
A l'instar du Yémen, l'Algérie est accusée de faire dans le tribal ou dans le
régional, avec El Qaïda en bas, M'cirda
en haut au milieu et du pétrole entre les deux. Pire encore, le Pouvoir a la même
posture que Kadhafi : le Président peut dire, sans mentir, qu'il n'est qu'un
guide de train ou de touristes et qu'il n'a aucun pouvoir et que le «dégage»
contre lui ne signifie rien. Donc la question du «en avance ou en retard ?» ne
peut pas être tranchée. Il y a même des moments de grandes lassitudes
collectives où nous n'avons ni démocratie, ni dictature, ni Etat, ni régime, ni
opposition. Juste du tic-tac national et le regard perdu. Comme si, depuis la
guerre des années 90 et l'échec d'octobre 88, on s'est engagé dans un monde
parallèle. Peut-être que nous sommes tous morts et que nous le savons pas comme
le héros du film «Sixième sens» ? Peut-être que nous allons inventer quelque
chose d'autre. Dans tous les cas, on sent très bien chez nous ce désordre des
sens.
Notre seule invention sera, et pour longtemps,
cette démocratie de façade que beaucoup d'autres dictatures copieront : faux
partis, faux pluralisme, pluralisme contrôlé, parti unique à trois? etc. Enfin
toute la recette. Aujourd'hui, il apparaît que tous les révolutionnaires arabes
nous désignent du doigt quand ils veulent donner l'exemple des erreurs à ne pas
faire. Car en erreurs, nous sommes très en avance.