Les palmeraies du sud du pays subissent
actuellement de graves mutilations. Pire, devant les appétits voraces de
certains propriétaires terriens, beaucoup plus portés sur la spéculation
foncière que sur l'agriculture, ces tâches de verdure risqueront bien de
disparaître un jour au profit des constructions. A Ghardaïa, la beauté
architecturale des k'sour du M'zab
cache mal le véritable carnage écologique auquel se livrent les promoteurs
immobiliers dans ce qui reste de la magnifique palmeraie de Ghardaïa. Des
constructions de plus en plus nombreuses sont édifiées à l'intérieur et sur la
périphérie de ce minuscule îlot de verdure, arraché de force au désert par les
premiers habitants de la vallée du M'Zab, il y a de cela plusieurs siècles. Le
mouvement d'urbanisation des terres agricoles a été tellement rapide ces
dernières années qu'il est temps, estiment de nombreux spécialistes et cadres
de la wilaya, d'arrêter, voire d'interdire toute nouvelle construction à l'intérieur
de la palmeraie. Dans ce qui fut, il n'y a pas très longtemps, la palmeraie de Mélika, (le ksar surplombant Ghardaïa), et où, aujourd'hui,
se trouvent édifiées les principales administrations et autres structures
publiques. L'urbanisation de la vallée du M'Zab se confirme actuellement de
manière concrète alors qu'en 1970, elle n'était qu'une simple hypothèse émise
par des urbanistes étrangers de passage dans la région. Selon un groupe de
spécialistes, les sept k'Sour du M'Zab pourraient, dans
moins d'une décennie, ne plus former qu'une seule et même ville. Mieux, si la
politique de développement national, engagée depuis le premier plan quinquennal,
se poursuivrait naturellement, c'est toute la vallée du M'Zab qui subirait
l'urbanisation et on aura ainsi une immense ville qui épousera la forme de la
vallée.
Evidemment, depuis l'accession de Ghardaïa au
rang de wilaya, en 1985, la protection des palmeraies est devenue l'une des
principales préoccupations des autorités. Le plan d'urbanisme de Ghardaïa et
des autres k'sour va désormais, prendre en
considération la nécessité vitale de protéger ce qui reste de la palmeraie et
autres terrains à vocation agricole, particulièrement après le passage du
«tsunami» de 2008. Et, d'étendre la ville hors de la vallée. Le principe
d'extension de la ville, ailleurs que dans le couloir de l'Oued, est acquis. Reste
maintenant à accélérer et achever les premières constructions sur les plateaux
de Bouhraroua et Oued Néchou.
Ce qui nécessite beaucoup de moyens, afin d'entraîner les citoyens dans cette
voie. Les industriels ont bien et depuis longtemps, répondu favorablement
lorsque l'Etat avait décidé de la création d'une zone industrielle à «Gare-Ettaam», à l'est de la ville. A la direction de
l'Agriculture, les propos des cadres et techniciens sont on ne peut plus clairs
:»il y a longtemps que l'on ne considère plus la palmeraie de Ghardaïa comme
une palmeraie de production. Tout en sachant qu'elle abrite des résidences
secondaires, nous continuons cependant à nous y intéresser, en particulier en
fournissant les eaux d'irrigation. Autrement dit, nous cherchons beaucoup plus
à maintenir les palmiers en vie qu'à espérer une hypothétique et peu probable
reprise de l'activité agricole». On explique pourquoi : «traditionnellement, c'est
la palmeraie qui assurait l'essentiel des revenus des habitations de la région.
Aujourd'hui, la majeure partie des citoyens s'est convertie dans d'autres
activités plus lucratives, entre autres, le commerce et l'industrie, d'où le
délaissement de l'agriculture, phénomène qui d'ailleurs est national. Avec le
développement de la région, il y a un autre phénomène qui s'est greffé au
délaissement de la palmeraie, à savoir : la spéculation foncière». Une
spéculation dont on peut dire quelle est la plus forte au niveau national. Le
mère carré à Ghardaïa atteint les 50.000 DA ! On parle d'un médecin privé qui
aurait payé un lopin de 100 m²
quelque 500 millions de centimes. Vérité ou simple rumeur, cette affaire
illustre on ne peut mieux la frénésie qui s'est emparée de certains gros
industriels et autres candidats à l'investissement dans la vallée du M'Zab. A
tel point qu'il n'est pas rare de voir des placettes et ruelles devenir des
propriétés immobilières. L'urbanisation de la palmeraie et de ses environs est
en fait un phénomène engendré par la nature même de la conception des villes du
M'Zab. Construites en forme de pain de sucre sur des élévations rocheuses dans
un double souci d'économie d'espaces cultivables et de sécurité, ces cités ne
pouvaient s'étendre qu'au détriment des palmerais situées en contrebas. S'il
est vrai que la palmeraie de Ghardaïa a été victime des appétits mercantiles de
beaucoup de petits propriétaires fonciers, il est aussi vrai que les autorités
locales n'avaient pas fait grand-chose pour éviter ce triste sort. Rares ont
été les lopins à être distribués aux citoyens. Un petit commerçant de Ghardaïa
nous confie qu'il a fait des mains et des pieds pour obtenir une petite
parcelle de terre, mais sans résultat. «J'ai été contraint, dit-il, de
m'adresser à un particulier qui m'a cédé quelques mètres carrés, du côté de la
palmeraie à un prix que vous ne pouvez pas imaginer et dont je tairais le
montant». Un responsable du secteur de l'Agriculture, tout en reconnaissant
qu'il ne reste pas grand-chose à sauver de cette palmeraie, balayée par les
inondations de 2008, estime toutefois que la situation n'est pas aussi
dramatique. «Elle risque de le devenir si les autorités concernées (en fait
tout le monde est concerné), relâchent de leur vigilance». Car, ajoute ce
responsable, il se pourrait que même les terres cédées dans le cadre de la mise
en valeur, notamment les terres situées aux alentours de la ville de Daia, et qui n'ont pas été exploitées à ce jour, subiront
un sort identique à celui de la palmeraie de Ghardaïa. Donc contrairement à
l'idée répandue, ici à Ghardaïa, les terres agricoles envahies par les
constructions ne pourront jamais être compensées par celles susceptibles d'être
mises en valeur. «Il ne faut pas oublier, explique un vieil agriculteur de
Ghardaïa, qu'une palmeraie perdue équivaut à des siècles d'efforts qui partent
en l'air. La création d'une oasis nécessite au moins un siècle de travail et
d'énormes efforts, même avec les moyens de notre époque». «Il est grand temps, dit-il,
de regagner la terre et de penser vraiment à l'après- pétrole».