C'est
le titre proposé par un ami : «D'octobre 88, à l'article 88». C'est à propos de
la dernière recette proposée par le vénérable Ali Yahia
Abdenour, figure charismatique des droits de l'homme
en Algérie. Explication : l'article 88 a été la dernière piste trouvée pour
«dégager» Bouteflika pour cause d'incapacité physique
à gouverner. Le dernier discours, destiné, selon la notice, à prouver que Bouteflika est vivant, a fini par prouver qu'il est
réellement malade. Le discours l'a été par ses «coupures», ses raccords
évidents, sa voix basse, la main tremblante et le regard usé, plus que par ce
qu'il a promis. Après les premières impressions, les Algériens ont gardé une
seule : le président de la République est au-delà de la fatigue normale. Du
coup, un autre, aussi âgé mais moins vieux, a ouvert la brèche : un coup d'Etat
à la tunisienne, propose Ali Yahia. Le rapport avec
octobre 88 ? Il est évident pour tous : à l'époque, on voulait chasser l'armée
du Pouvoir et on a fini par chasser Chadli. Article 88, on chasse le 4ème
Chadli du Pouvoir mais en appelant l'armée à nous aider. Que faut-il en
comprendre ? Pas de quoi juger de la solution de Ali Yahia
Abdenour. Le militant exprime presque un désespoir et
un retour à la lucidité : on ne peut pas faire la révolution avec le peuple
mais avec l'armée. On ne peut pas démocratiser sans militariser. On ne peut pas
réussir une révolution si l'armée est de l'autre côté. Pour certains, il s'agit
de pragmatisme révolutionnaire, formule «alliance stratégique». Pour d'autres, il
s'agit d'un atavisme : on est encore et pour quatre éternités dans le schéma du
«si ce n'est pas l'armée, c'est du bavardage».
Pour d'autres, il s'agit d'un échec : entre
Octobre 88 et l'article 88, c'est à peine si nous avons bougé d'un centimètre
en direction de l'idée de la souveraineté du peuple. C'est presque une défaite
de l'esprit : on accepte que l'armée vote et élit, mais on lui demande de le
faire avec plus de professionnalisme. On lui propose une solution et on lui
explique que c'est un bon moyen. L'article 88 est donc une loi partagée : le
texte explique qu'un Président malade ne peut pas être un président, mais
recourir à l'article 88 prouve aussi que nous sommes tous malades, que nous ne
sommes pas sains et pas guéris et que l'Algérie est encore à soigner. Autant
que l'idée qu'elle se fait de la démocratie. Il y a un aveu de faiblesse et un
désespoir stratégique ou un excès de politesse quand, dans le cadre de l'esprit
révolutionnaire, on remplace le «dégages» du peuple par le «va te reposer» de
l'armée et de ses médecins.