Les tentacules gigantesques du commerce
informel s'étendent aux quatre coins de la ville de Tiaret au point que même le
piéton a un mal fou à se mouvoir au beau milieu d'une giga-cité dont les places
publiques, rues et ruelles deviennent un gigantesque capharnaüm à ciel ouvert.
L'exemple le plus «dramatique», selon de nombreux habitants de la ville, est le
sort inacceptable fait à l'une des vieilles mosquées de la ville: la Medersa en
plein cœur de la ville. Implanté dans une rue aujourd'hui totalement défoncée
pour cause de «travaux», le lieu de culte le plus célèbre sur la place de
Tiaret est littéralement enlacé par des vendeurs à la sauvette au point que
même les fidèles, à l'heure des prières, ont du mal à pénétrer à l'intérieur.
En contrebas de la mosquée, en plein cœur de l'antique Tihert, la situation est
encore plus «basardesque», selon l'expression d'un riverain avec cette quantité
incroyable de tablettes posées à même le sol et obstruant le passage aux
passants, obligeant ces derniers à courir le risque de marcher sur la chaussée
au milieu d'une circulation automobile intense dans cette partie de la ville.
Un peu plus haut, aux alentours de la célèbre «Place rouge» et tout autour du
marché couvert de la ville, le spectacle est désolant. De la friperie mêlée aux
savates, des neuves mais aussi usées, le tout au milieu des fruits et légumes
posés carrément sur le macadam font de la place du 17 Octobre 1961 un parterre
de bric et de broc, occupant le moindre espace, y compris les escaliers et même
les niches de protection des transformateurs d'électricité utilisées comme
présentoir de fortune. Même topo le long de la rue Thiers, une artère
littéralement étouffée par les vendeurs à la sauvette, avec une «armée»
d'individus occupant le moindre coin et recoin tout autour de la mosquée de
Sidi Adda, donnant au quartier une allure de marché à ciel ouvert. De l'autre
côté de la ville, là où se concentre la plus grande partie la population
locale, la situation est encore plus insupportable. De l'université «Ibn
Khaldoun» jusqu'au siège de la sûreté de wilaya, sur près d'un kilomètre, ce
n'est plus qu'un gigantesque bazar où tout se vend et tout s'achète. Les
trottoirs sont squattés jusqu'au moindre centimètre avec des stands de fortune
érigés n'importe comment par les très nombreux vendeurs à la sauvette. Les
commerçants, légaux ceux-là, installés à l'intérieur de l'ex Souk El Fellah,
moyennant des loyers prohibitifs, crient leur ras-le-bol et veulent revenir eux
aussi au commerce informel. D'ailleurs, certains parmi eux ont pris leurs
cliques et leurs claques et se sont installés carrément dans la rue dans
l'espoir d'attirer plus de chalands.
«Dans une ville où tout le monde veut
devenir commerçant, y compris les adolescents de quinze ans, comment
voulez-vous que je m'en sorte avec mes deux employés, un loyer très cher et des
impôts à payer tous les trimestres lorsque votre caisse reste fermée parfois
jusqu'à quinze jours ?», se plaint un commerçant de vêtements pour femmes. Dans
une tentative de réguler un commerce sauvage devenu une véritable plaie ouverte
à Tiaret, la direction du commerce a promis de créer des marchés de proximité
contrôlés, une proposition systématiquement refusée par les barrons locaux du
commerce informel voulant toujours «s'installer là où il y a le poisson à
pêcher et pas ailleurs où le client est rare», selon l'expression d'un boucher
au marché de Volani qui compte cesser son activité dès le mois prochain pour
convertir son commerce en sandwicherie, le «seul truc qui peut marcher»,
pense-t-il mordicus.