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Libye : La coalition internationale veut sortir du mandat de l'ONU

par Yazid Alilat

Alors que les dirigeants des pays qui dirigent la coalition internationale demandent ouvertement le départ de Mouammar Kadhafi comme prélude à la fin des frappes aériennes et au règlement de la crise libyenne, un émissaire libyen était jeudi à Alger pour exposer le point de vue officiel du régime sur les derniers développements en Libye.

C'est M. Abdelkader Messahel,ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines, qui a reçu et discuté avec son homologue libyen, le secrétaire au Comité populaire général libyen des Affaires arabes, M. Omrane Aboukraa. Selon le ministère des Affaires étrangères, M. Aboukraa avait abordé avec M. Messahel les développements intervenus dans son pays depuis le début de la crise. L'entretien s'est élargi par la suite à un échange de vues sur les efforts déployés pour la recherche d'une «solution fondée sur l'établissement d'un cessez-le-feu et l'ouverture d'un dialogue entre les parties qui prenne en charge les aspirations légitimes du peuple libyen et qui garantisse sa souveraineté et l'intégrité de son territoire».

Ainsi, la feuille de route, proposée par la commission de l'Union africaine pour un règlement pacifique de la crise libyenne avec un arrêt des combats, a été discutée au cours de cette rencontre. Une mission d'éminentes personnalités africaines, mandatée par l'UA, avait rencontré Mouammar Kadhafi la semaine dernière. L'émissaire libyen, arrivé mercredi soir à Alger en provenance de Tunis, s'est rendu en Mauritanie et au Maroc, dans le cadre d'une tournée maghrébine pour informer les responsables de ces pays des développements en cours en Libye.

Mercenaires

L'implication d'étrangers en Libye au sein des forces de Mouammar Kadhafi ou qui favoriserait l'action du dirigeant libyen au détriment des populations civiles «serait grave» et contraire aux résolutions de l'ONU, a déclaré hier le ministère français des Affaires étrangères. «L'implication d'étrangers dans des actions criminelles contre la population civile serait grave et en contradiction avec les résolutions 1970 et 1973 du Conseil de sécurité», a estimé lors d'un point-presse le porte-parole du ministère, Bernard Valero. Il était interrogé sur des informations selon lesquelles le colonel Kadhafi aurait recruté sur le territoire tchadien des Touaregs et des Toubous tchadiens pour aider ses forces militaires. Quant à une éventuelle aide de l'Algérie au régime de Mouammar Kadhafi, en facilitant des accès aux frontières ou en lui livrant du pétrole, le porte-parole n'a pas répondu précisément aux questions des journalistes. «Vos questions sont pertinentes. Aujourd'hui, je n'ai pas d'information sur ces sujets», s'est-il borné à dire. Mais l'allusion à l'Algérie est claire. Le ministre de l'Intérieur, M. Daho Ould Kablia, de Bordj Badji Mokhtar où il s'était rendu dernièrement avait affirmé que «jusqu'à présent, nous n'avons aucune preuve de l'existence d'Algériens qui combattent aux côtés des forces irrégulières du guide El Gueddafi». «Mais notre position est qu'en aucun cas l'Algérie ne pourra encourager des Algériens à s'ingérer dans une affaire qui ne les concerne pas, sauf s'ils sont mus par des besoins strictement matériels. Ce qui pourrait être une manière de gagner de l'argent, comme c'est le cas pour la drogue ou autre», estime le ministre.

Tous contre Kadhafi

Par ailleurs, l'intervention de la coalition internationale en Libye dérape progressivement des limites de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l'ONU, qui n'a à aucun moment spécifié le départ de Kadhafi pour régler la crise libyenne. Hier dans une tribune libre, les dirigeants français Nicolas Sarkozy, américain Barack Obama et britannique David Cameron ont demandé le départ de Mouammar Kadhafi, également dans le viseur de l'Otan qui réclame son départ pour la fin des bombardements en Libye. MM. Sarkozy, Obama et Cameron ont jugé dans cette tribune commune «impossible d'imaginer que la Libye ait un avenir avec Kadhafi». «Il ne s'agit pas d'évincer Kadhafi par la force. Mais il est impossible d'imaginer que la Libye ait un avenir avec Kadhafi (...) il est impensable que quelqu'un qui a voulu massacrer son peuple joue un rôle dans le futur gouvernement libyen», écrivent les présidents français et américain et le Premier ministre britannique dans quatre quotidiens.

Pour accélérer son départ, ils estiment que «l'Otan et les partenaires de la coalition doivent maintenir leurs opérations afin que la protection des civils soit maintenue et que la pression sur le régime s'accroisse». Pour autant, le ministre français de la Défense, Gérard Longuet, relève de son côté que l'on était «certainement» en train de sortir de la résolution 1973 de l'ONU sur la Libye avec cette tribune. Des pays, comme la Russie, la Chine ou le Brésil, «vont naturellement traîner des pieds. Mais quel est le grand pays qui peut reconnaître qu'un chef d'Etat peut régler ses problèmes en tirant au canon sur sa population? Aucun grand pays ne peut le reconnaître», a-t-il conclu. Réuni jeudi à Bruxelles, l'Otan avait également «endossé fermement» l'appel au colonel Kadhafi à se retirer lancé par le Groupe de contact chargé du pilotage politique de l'intervention internationale.

Le Guide nargue les «Coalisés»

Décontracté, chapeau et lunettes noires, Mouammar Kadhafi avait fait son numéro jeudi soir dans les artères de Tripoli. Dans une voiture tout-terrain au toit ouvrant, il a salué jeudi soir les passants en levant les poings, selon les images diffusées par la télévision libyenne. Des dizaines de personnes se sont approchées de son véhicule pour l'acclamer. Selon la télévision libyenne, cette sortie avait été effectuée «sous les raids des agresseurs colonialistes croisés».

L'Otan a dans un premier temps affirmé qu'il n'y avait eu aucun appareil envoyé par l'Alliance au-dessus de la ville dans l'après-midi, avant de dire dans la soirée que ses avions avaient peut-être frappé deux cibles près de Tripoli, voire même dans la ville. De son côté, Aisha Kadhafi, fille du dirigeant libyen, a affirmé jeudi soir devant des centaines de jeunes partisans du régime que demander le départ de son père était une «insulte pour tous les Libyens». «Vous voulez tuer mon père sous prétexte de protéger les civils. Où sont ces civils? S'agit-il de ceux qui portent des mitraillettes, des RPG et des grenades?», a-t-elle lancé en allusion aux insurgés. Les chefs de la diplomatie ont adopté à Berlin une déclaration en trois points, qui devront être satisfaits avant qu'il puisse être question d'un cessez-le-feu. Toutes les attaques contre les civils doivent cesser. Les militaires doivent retourner dans leurs casernes et se retirer de toutes les villes où ils sont déployés ou qu'ils assiègent, telles Ajdabiya, Brega et Misrata.

Par ailleurs, les cinq pays émergents, les BRICS (Brésil, Russie, Inde et Chine, et Afrique du Sud), réunis au centre touristique de Sanya en Chine, ont protesté contre le recours à la force contre la Libye. Les dirigeants du BRICS, élargi pour la première fois à l'Afrique du Sud, ont publié, jeudi, une déclaration appelant à une solution pacifique en Libye.

Sur le front

Sur le «front», les forces loyales à Mouammar Kadhafi ont tué un insurgé hier à un kilomètre de l'entrée ouest d'Ajdabiya, dans l'est de la Libye, selon l'opposition, qui peine à lancer une contre-offensive. Un insurgé qui tenait une batterie antiaérienne a été tué par balles et deux autres ont été blessés, selon des combattants. Ajdabiya est la dernière grande ville tenue par les rebelles avant Benghazi, leur bastion dans l'Est. Dans l'ouest du pays, des frappes ont été menées dans la nuit de jeudi à vendredi contre des chars des forces pro-Kadhafi dans la région de Zenten, où les accrochages se multiplient avec les rebelles qui tiennent plusieurs localités de la région. Un témoin a précisé que des avions continuaient à survoler la zone hier. Enfin, une aide humanitaire doit pouvoir être fournie en toute sécurité à tous ceux qui en auraient besoin. Un bateau affrété par l'Organisation internationale des migrations (OIM) a accosté jeudi à Misrata, ville assiégée depuis un mois et demi par les forces loyales au colonel Kadhafi, afin d'évacuer 800 personnes et apporter 400 tonnes d'aides humanitaires et de médicaments. Treize personnes étaient mortes et 50 autres blessées jeudi dans cette ville au cours de violents affrontements entre pro et anti-Kadhafi.