On le sait depuis un demi-siècle
: les révolutionnaires vieillissent mal. Semblent en vouloir à tous quand le
temps passe, deviennent violents et on a l'exacte mesure de leurs tares, avec
le temps, en proportion à leurs vertus d'autrefois. C'est le cas de l'Algérie,
pays autrefois si révolutionnaire que tous les martyrs du monde avaient notre
nationalité et toutes les décolonisations commençaient par photocopier notre
étincelle. Soixante ans plus tard, l'ego révolutionnaire algérien a le statut
du dentier : nous avons été dépassés en ardeurs et actes par les Tunisiens, les
Egyptiens et les Libyens. Ce vieillissement déteindra du coup sur notre
diplomatie actuelle : bonne pour les mises au point sur les plateaux télés
étrangères, timide, discrète et très « has been ». On aurait pu se contenter de
cette discrétion si ce n'était le cas de la Libye. On aurait pu passer entre
les gouttes et vendre encore un peu des photos de notre guerre de Libération au
rang des antiquités et en tirer le profit forcé d'un reste d'admiration
internationale, plus proche de la politesse calculée que de la vérité. On
aurait pu. Sauf que la Libye a forcé à une sorte de dévoilement de la
diplomatie algérienne qui nous met à mal : dès le début, la position algérienne
a été celle de la réserve pas tellement neutre, de la prudence dite de
non-ingérence et de « l'observation de près » selon la formule consacrée. La
position n'a trompé personne cependant et encore moins les révolutionnaires
libyens. On sentait bien que l'ami de Tripoli est encore un ami, que le Régime
en Algérie voyait mal la chute d'un collègue et la suite possible de cette
chute. Le vent de changement qui promettait d'aller vers le Moyen-Orient agiter
les vagues se révélaient de retour vers l'Ouest avec un évident candidat au
changement : l'Algérie. Avec le pétrole, l'esprit révolutionnaire dépassé, la
collaboration, Kadhafi était un ami algérien du régime algérien et le soutenir
était une question génétique. Sur les plateaux et dans les médias, les Libyens
massacrés avaient de la peine à comprendre cette position algérienne avant
d'opérer, fort heureusement, le distinguo entre nous le peuple et « eux » le
Pouvoir. Et comme pour mieux marquer ses positions, l'Algérie officielle n'a
rien trouvé de mieux à dire que dénoncer El Qaïda au Maghreb devenue plus armée
avec le Conflit libyen, selon l'un de nos ministres. Rien sur les morts, rien
sur les massacres, rien sur l'avenir d'un peuple voisin, rien sur rien mais toute
une phrase pour dénoncer la menace d'El Qaïda au Maghreb et la lier avec le cas
libyen. Le Rat de Tripoli a opté pour cet amalgame rentable dès le début, notre
diplomatie vient le soutenir depuis avant-hier et va dans son sens pour faire
peur aux Occidentaux trop engagés dans la région. Comme pour stopper un peu, à
la manière du « je n'y touche pas mais? », la Révolution Libyenne.
Bien sûr, les Libyens le savent et nous le savons : ce n'est pas
la position du peuple algérien. Pas la nôtre. Iman Obeidi, la jeune fille
violée par les Kadhafistes et toujours « disparue », est plus importante, à nos
yeux que la « menace » terroriste très pratique en ces temps là. Les Libyens
retiendront. Et les Algériens retiennent déjà cette scène d'un vieillissement
mauvais de notre révolution. Comme une femme qui a connu une bouleversante
histoire d'amour, de courage, de défi et de passion qui a fait larmoyer les
montagnes et qui, à un âge avancé, se met à geindre dès qu'on touche à l'une de
ses boucles d'oreille ou qu'une révolution voisine menace sa trousse de
maquillage. Comparons seulement l'esprit de notre diplomatie actuelle et
l'esprit de la déclaration de novembre pour calculer la décomposition et l'âge
de la peau.