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CESSER D'AVOIR PEUR, CESSER DE FAIRE PEUR

par K. Selim

Le président syrien Bachar Al-Assad s'adresse aujourd'hui aux Syriens. Il faut espérer que la grande manifestation pro-régime organisée hier ne l'aveugle pas. Et qu'il ne reproduise pas le dérapage de sa conseillère à l'information - que nous avons vue en bien meilleure forme ? Boutheina Chaabane, qui a accusé des Palestiniens d'être derrière les manifestations violentes qui ont eu lieu à Lattaquié.

 Chercher un bouc émissaire étranger n'est pas un signe de lucidité. A plus forte raison s'agissant de réfugiés palestiniens qui, partout dans le monde arabe, veillent à ne pas se mêler des affaires des autres. Et à la vérité, les Palestiniens de Syrie peuvent même affirmer qu'ils ne sont pas maltraités puisqu'ils n'ont pas de revendications à faire valoir au régime syrien. Ce sont les citoyens syriens qui contestent. Il faut que le régime de Damas commence par admettre ce constat élémentaire et ne cherche pas le trop commode et très usé dérivatif extérieur.

 Et il doit également admettre que la sociologie complexe de la Syrie - tout comme celle du Liban - ne doit pas être un prétexte pour retarder indéfiniment une mise en adéquation avec les réalités contemporaines plus que jamais nécessaires.

 On peut parier sur l'intelligence des Syriens et sur leur patriotisme pour que les conflits confessionnels, risques souvent invoqués implicitement, soient évités. La société syrienne, en dépit d'un régime fermé, est bien éduquée et bien informée. Elle n'est pas en quête de repli confessionnel, mais dans une quête de citoyenneté.

 Aujourd'hui, il est manifeste que ce risque confessionnel, s'il existe, ne se traite pas par le refus de la diversité et le verrouillage. Ce sont en réalité ces pratiques, désormais contestées dans toute l'aire arabe, qui sont porteuses de risques. Le gouvernement syrien, et cela est valable pour les autres régimes arabes autoritaires, doit cesser d'avoir peur de sa population.

 Il doit aussi cesser de faire peur à sa population en suggérant qu'une ouverture démocratique serait le début des divisions et des séditions. Ce type de gestion est dépassé. Le régime syrien bénéficie d'un consensus national large sur sa politique étrangère et sur son refus de se soumettre à la pax americana. Sur cette question, les opposants syriens sérieux n'ont jamais transigé.

 Ce consensus sur l'appréhension des risques géopolitiques ne doit pas être un motif d'immobilisme et d'exclusion des forces politiques du pays qui ne se reconnaissent pas dans le parti Baath. C'est le contraire qui est juste. Ce consensus sur la politique extérieure est une garantie qui permet d'envisager avec assurance la démocratisation du pays et l'établissement d'une citoyenneté au sens plein du terme.

 Il est arrivé à Bachar Al-Assad de se livrer, publiquement, à des analyses hardies de la situation géopolitique. Il doit désormais faire preuve de la même hardiesse dans l'analyse de la situation dans son pays et du sens des demandes démocratiques qui s'y expriment. Il doit d'autant plus le faire que son pays est effectivement une cible de choix pour Israël et ses alliés occidentaux.

 Refuser d'aller vers un réel changement démocratique, c'est prendre le risque d'affaiblir l'unité nationale et d'ouvrir le champ aux intrusions extérieures nuisibles, celles-ci bien réelles. Ce constat est déjà établi dans le cas de la Libye. Le régime syrien prendrait un risque considérable s'il persiste dans l'immobilisme aveugle.