La main étrangère ? Oui pour la
main étrangère. Elle n'est pas celle que l'on croit finalement. Il n'y a pas
plus étranger pour un pays arabe que son propre dictateur. C'est le dictateur
qui vole le pétrole pour faire manger ses enfants. C'est le dictateur qui vend
le territoire en morceaux choisis. C'est le dictateur qui tue pour l'argent,
loue les mercenaires, prend les puits et les femmes et le bétail. C'est le
dictateur qui bombarde, tire dans le tas et massacre et torture. Qu'on ne nous
répète plus donc que les Occidentaux sont là pour nous voler le pétrole et
intervenir pour leurs intérêts. Ils sont dans leurs logiques et selon les
appétits de leur nationalité. A la fin, ils sont moins étrangers à nous que nos
propres monstres. La main étrangère s'avère moins meurtrière que le pied du
dictateur local. La Lybie ? Oui pour l'intervention étrangère: c'est le seul
moyen de déraciner le mal et c'est devenu trop facile de parler de complot
étranger, assis chacun devant sa télé pendant que les Libyens meurent en vrac
et dans le cri. Il n'y pas pire complot que celui des nôtres contre nous. Pas
pire guerre que celle menée par les nôtres contre les nôtres. Pas pire trahison
que la fraude des élections, la répression et le doublage du son par la
propagande ou la falsification des dernières paroles des martyrs. L'Occident
est marchand, le dictateur est assassin. C'est donc trop facile de hurler
contre l'intervention occidentale quand le compte à rebours se fait avec des
vies et des morts. Il n'y pas plus de place pour le caprice de la souveraineté
quand le pays n'existe même pas et qu'il est une propriété privée. Débat sur la
«main étrangère» ? C'est déjà trop tard. Il s'agit de sauver des vies avant de
soliloquer sur le périmètre actif du drapeau. Personne n'a autant écrasé la
souveraineté, vendu autant la terre et ses sous-sols, corrompu autant les
peuples et fait autant de mal à l'indépendance que les régimes arabes.
D'ailleurs, certains pays n'ont plus le droit de fêter l'indépendance depuis
des décennies. Cela devrait être interdit sur une liste internationale de
bienséance. Le pétrole ? Il sert à qui, à quoi s'il coule du Puits au Palais ?
La terre ? Elle sert à quoi si on ne peut pas y marcher librement et la rendre
infinie comme le ciel ? Le drapeau ? Que veut-il dire quand le Dictateur peut
le remplacer par son costume du jour ? L'indépendance ? Elle remonte à quand
pour la dernière fois ?
A refaire donc. Tout est à refaire. Car il fallait voir l'un des
ministres du Rat de Tripoli expliquer avant-hier que « son pays » respecte
l'ONU et ses décisions, qu'il va respecter les droits de l'homme, la liberté et
amorcer le Dialogue. Quand a-t-il dit ça ? Pas lorsque le peuple a parlé ou que
des hommes sont morts, ou que des ambassadeurs ont démissionné, ou que des gens
sont sortis dans les rues. Non. Il a dit ça, quelques heures après le vote de
l'ONU et la menace réelle des avions de la coalition. Voilà ce que vaut la
souveraineté aux yeux de ces gens et quel sens ils ont de la dignité. Voilà de
quoi ils ont peur et voilà le seul langage qu'ils comprennent : celui de leurs
Maîtres et de la force qui va frapper et de l'annonce de la bombe. Que des
millions des leurs leur demandent un peu d'air ne signifie pas plus rien pour
leur empire et leur insolence. Qu'un seul ancien Colon leur envoie un avion et
voilà qu'ils s'écrasent comme des semelles. Cela rappelle le geste d'un des
Califes de Bagdad à l'époque des Abbassides, menacé par des envahisseurs
Mongols: «Je vous envoie ces sandales avec mon nom imprimé sous la semelle en
signe de bonne foi», a écrit le Calife au Conquérant. Anecdote vraie.