Quand les bruits de couloir ne sont plus audibles, nous nous faisons un
plaisir de vous les faire parvenir.Musique.
L'Europe politique se déchire sur le traitement de la question libyenne.
Deux de ses principaux membres, la France et le Royaume-Uni appellent, n'ayons
pas peur des mots, à une guerre contre Kadhafi et son armée. N'ayant pas pu
rallier le reste de l'Europe aux choix des armes contre le régime du colonel
Kadhafi, le président français Nicolas Sarkozy a saisi le Conseil de sécurité
de l'ONU, à la veille de sa réunion de jeudi, pour qu'il se prononce en faveur
d'une zone d'exclusion aérienne; d'une aide logistique et humanitaire aux
insurgés et d'une reconnaissance du Conseil national intérimaire de transition
(CNT). Argument de taille dans le plaidoyer du président français: la
résolution votée, le 12 février, par le Conseil des ministres des Affaires
étrangères de la Ligue des Etats arabes. Signe des temps, Sarkozy comme le
Britannique David Cameron et d'autres Etats d'Europe du Nord découvrent et
citent en exemple le «courage politique» de la Ligue des Etats arabes. Habitués
que nous sommes du peu de crédit accordé par les Européens à la Ligue arabe,
l'éloge déversé sur elle par des chefs d'Etats de pays d'importance de l'Union
européenne surprend et déroute. Ce n'est pas tant le choix d'une option
militaire contre le régime de Kadhafi qui étonne, mais plutôt cette soudaine
reconnaissance du choix osé et viril de la Ligue arabe qui interpelle. Les
interrogations sont légitimes et nombreuses. D'abord le vote de la Ligue arabe,
qui comprend 22 Etats, n'a pas été unanime puisque l'Algérie et la Syrie ont
voté contre, par exemple. Excepté l'Egypte et la Tunisie qui viennent de
s'engager sur la voie d'un changement de régime politique, qu'est-ce qui a bien
pu convaincre les 18 autres Etats de la Ligue, dont certains vivent un vent de
révolte populaire, à condamner et à appeler à l'encerclement militaire du
régime libyen ? Sont-ils aussi aveugles pour scier la branche qui les porte ?
Pas si évident que cela, et il n'est pas exclu qu'un possible deal politique
entre la France, l'Angleterre, les Pays-Bas, voire les USA, et les monarchies
du Golfe ait eu lieu: abattre Kadhafi et son régime politique, contre de
l'indulgence, peut-être même une prolongation de bail au pouvoir dans leurs
pays respectifs. Après tout, les monarchies du Golfe ont, jusqu'à maintenant,
servi avec promptitude tous les besoins et intérêts des Occidentaux. Un exemple
? Le silence observé par l'Europe et l'Occident sur la répression des
manifestations populaires à Bahreïn, y compris sur l'envoi de convois
militaires par l'Arabie Saoudite pour sauver le régime en place. Et puis, cette
interprétation des médias européens des raisons de la révolte dans la région:
musulmans chiites contre la majorité sunnite. Une guerre religieuse aux lieu et
place d'une révolte sociale et politique. Réduite à une querelle «religieuse»
entre musulmans, la révolte des jeunes Arabes dans ces pays sera laissée à la
«gestion» par les régimes en place et ne concernera pas les Occidentaux. Après
tout, l'Iran chiite tout près n'est pas un allié. Les ingrédients d'un tel
scénario fonctionnent depuis plus de 60 ans en Palestine. Transformer la colonisation
de la Palestine en une guerre entre Arabes et Juifs, entre islam et judaïsme a
permis à Israël d'user de l'argument de légitime défense. Ceci dit, doit-on
interpréter la volonté des Occidentaux à en finir, définitivement, avec le
régime libyen sous le seul angle du complot contre un pays arabe ? Peut-être,
mais il faut bien reconnaître que la nature dictatoriale, autocratique,
répressive et criminelle du régime du colonel Kadhafi ne plaide pas pour sa
défense. Autrement dit, défendre le régime libyen par les seuls calculs
géostratégiques occidentaux est absurde. La vie internationale est ainsi faite
et fonctionne sur des pactes, des solidarités, des intérêts partagés. Mais la
vie internationale se construit aussi, de plus en plus à l'heure de la mondialisation,
sur des valeurs de liberté, de respect des droits humains et de démocratie. Les
conflits n'apparaissent que dans les zones ou espaces de non-droit, d'injustice
et de misère sociale. Pour l'heure, en Libye, un drame humain se déroule et le
spectre d'une guerre civile durable n'est pas du tout exclu. Croire que la paix
reviendra parce que le colonel Kadhafi et son armée auront reconquis Benghazi
et Tobrouk est naïf. Les «rebelles» ont gagné le soutien et l'appui des
Occidentaux qui, en plus du soutien politique, leur apporteront armes et
logistique jusqu'au bout de la victoire. Dans sa lettre adressée au Conseil de
sécurité, le président français Sarkozy l'a appelé à «répondre sans délai à
l'appel pressant de la ligue des Etats arabes», avant de conclure que «Le pire
serait que l'appel de la Ligue arabe et les décisions du Conseil de sécurité
soient mis en échec par la force des armes.» Quels que soient les griefs et
autres «miasmes» politiques que l'on peu reprocher à Sarkozy, notamment ses calculs
pour l'élection présidentielle de l'année prochaine, il faut lui reconnaître
d'avoir senti, dans l'épisode libyen, le sens de l'Histoire. Les princes, rois
et guides arabes, eux, se content encore des histoires.