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Lorsque les bruits de couloirs ne sont plus audibles, nous nous faisons
un plaisir de vous les faire parvenir. Musique.
L'Europe ne nous dit pas tout. Pendant que ministres et chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE multiplient les réunions et annoncent leur ferme intention d'en finir avec le régime du colonel Kadhafi, leurs diplomates accrédités à Tripoli continuent de rencontrer le dirigeant libyen pour négocier avec lui la «paix des braves». Sinon, comment expliquer le soutien de diplomates européens, en poste à Tripoli, à la proposition de Kadhafi d'accueillir «une mission internationale indépendante pour évaluer la situation sur le terrain ?». Kadhafi a, en effet, émis en début de semaine dernière une demande dans ce sens au SG de l'Onu. Huit ambassadeurs européens en poste à Tripoli ont soutenu «l'initiative» du colonel Kadhafi. Il s'agit de la Grèce, de l'Italie, de la Bulgarie, des Pays-Bas, de la Roumanie, de Chypre, de Malte et de la Hongrie, qui, elle, assure la présidence tournante de l'UE, rappelons-le. Parallèlement et en coulisses, le dirigeant libyen a envoyé des émissaires dans les capitales européennes pour négocier un arrangement et sauver son régime politique. Il y a forcément anguille sous roche. Les condamnations publiques européennes de la violence du régime libyen, pour sincères qu'elles soient, cachent mal leur crainte de l'après-Kadhafi, tant leur proximité (complicité ?) avec le régime libyen a été si intense ces dernières années. Conséquence, le débat politique sur la crise libyenne entre dans la «troisième dimension». Les parlementaires européens appellent, haut et fort, à une intervention vigoureuse de la communauté internationale en Libye, alors que ministres et chefs d'Etat tergiversent et hésitent. C'est que les parlementaires ne sont pas, pleinement, dans la gestion des affaires d'Etat à Etat. La coopération entre les Etats européens et la Libye est, comme pour le reste du monde, l'affaire des exécutifs. Avec toutes les lubies et les délires d'un dictateur, Kadhafi sait cela et il en joue. Il met en action ses «amitiés», car il en a en Europe, et ses réseaux pour torpiller les tentatives de consensus qui se mettent en place pour le briser. Par ailleurs, Kadhafi profite de la rivalité euro-américaine en Méditerranée pour tenir et gagner du temps. Conscient que l'Europe ne laissera pas carte blanche aux Américains en Méditerranée, le dictateur libyen tente de semer la zizanie entre les Occidentaux. Vous aurez remarqué la relative prudence du président américain sur la question libyenne. Barack Obama a déclaré qu'il est «d'accord pour un objectif commun en Libye, soit la fin des violences et le départ de Kadhafi». Il laisse le choix de l'initiative d'abord aux Européens. Lui a fort à faire ailleurs, en Afghanistan et en Irak, pour ouvrir un autre front en Méditerranée. La Maison-Blanche américaine vient tout juste de décider le gel des avoirs libyens, plus de deux semaines après les Européens. Dans ces circonstances, la question fondamentale revient : que faire et comment faire pour terminer l'épisode Kadhafi ? Dans l'immédiat, soutenir les insurgés libyens, s'il le faut dans une guerre d'usure, jusqu'à le faire chuter de l'intérieur, par son propre peuple. Actions humanitaires aux frontières et dans les zones libérées par les insurgés, fourniture d'armes et de moyens logistiques, etc. L'incapacité des Occidentaux à un consensus, pour ne pas dire unanimité, pour une action rapide et expéditive contre les forces armées libyennes révèle toute la complexité des rapports qu'ils entretiennent avec les régimes politiques des pays arabes d'une manière générale. Le parallèle avec les révolutions tunisienne et égyptienne est significatif : ces deux pays ne sont pas producteurs de pétrole ou de gaz au profit des Occidentaux. Avec Kadhafi, il ne s'agit pas seulement de mettre fin à un dictateur, il s'agit aussi de protéger leurs intérêts, énergétiques notamment. La difficulté est que leurs intérêts divergent. Fort de cela, Kadhafi use de toutes les ruses pour tenir. En plus de ses manœuvres diplomatiques discrètes, son aviation vise en priorité les terminaux pétroliers. Une sorte d'avertissement aux Européens qui importent 85% (chiffre de 2010) de leurs besoins pétroliers. Le chantage du colonel libyen pèse pour l'instant sur la réaction des Européens. Pour l'instant, car la compensation du pétrole libyen promise par l'Arabie Saoudite et le Koweït mettra, selon les spécialistes en la matière, près de trois mois avant d'arriver dans les pipelines et les cuves européennes. Trois long mois à patienter avant d'être à l'abri du chantage de Kadhafi. Pour l'heure, les prix du gazole et de l'essence, ainsi que ceux de l'énergie, ont brusquement grimpé (jusqu'à 20%) en Europe, et les ménages, déjà sous tension de la crise économique, pressent leurs gouvernants d'y mettre fin. Des nuits blanches en perspective pour les responsables européens et d'autres, de sang, pour le peuple libyen. |
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