Valse ministérielle, calendrier des réformes incertain, problèmes
économiques: la transition en Egypte accumule les défis après la chute du
président Hosni Moubarak et la prise en main du pays par l'armée, qui assure
toutefois vouloir garder le cap de la démocratie. Le remplacement jeudi du
Premier ministre Ahmad Chafic, nommé dans les derniers jours de M. Moubarak au
pouvoir, par Essam Charaf, un ancien ministre des Transports bien vu par
l'opposition, doit désormais s'accompagner de la formation d'un nouveau
gouvernement, à la composition délicate. Sur la sellette, les anciens barons de
l'ère Moubarak comme le ministre des Affaires étrangères Ahmad Aboul Gheit, qui
avaient réussi à se maintenir dans le cabinet Chafic et à survivre à un
remaniement ministériel le 22 février. Le gouvernement est chargé de la gestion
des affaires courantes depuis la démission de M. Moubarak, qui a remis ses
pouvoirs au conseil suprême des forces armées. L'institution militaire a
suspendu la Constitution et dissout le Parlement, tout en assurant vouloir
procéder à des réformes et à des élections libres permettant de revenir à un
pouvoir civil dans un délai indicatif de six mois. Le président turc Abdullah
Gül, en visite au Caire jeudi, a déclaré que l'armée lui avait «réitéré sa
volonté de mener une transition démocratique». Mais «les forces armées se
retrouvent avec un lourd fardeau» face à des manifestations et des grèves qui
se poursuivent, tandis que la police refuse d'assumer sa mission, s'inquiète
l'éditorialiste du journal indépendant Al-Chorouq, Salama Ahmed Salama.
«L'armée doit ramener la situation à la normale, mais comment y parvenir ?»,
écrit M. Salama, qui fait partie d'un groupe de personnalités ayant rencontré
récemment le conseil militaire pour analyser la situation du pays. Le cadre de
transition, tout juste ébauché par l'armée, est déjà soumis à critique. Les
amendements constitutionnels proposés par une commission d'experts «répondent à
des demandes anciennes de l'opposition et de la société civile, mais créent
aussi de nouvelles incertitudes», estiment Nathan Brown et Michelle Dunne, du
centre américain Carnegie, dans une étude des réformes proposées. La limitation
de toute présidence à deux mandats de quatre ans permet d'éviter l'écueil des
réélections à vie, et l'assouplissement des règles de candidature va dans le
sens démocratique souhaité, relèvent-ils. Mais ces experts s'interrogent sur
l'interdiction de se présenter à la magistrature suprême pour tout candidat
bi-national, ou marié à une étrangère, qui semble un barrage possible à des
candidats émanant de la nombreuse communauté égyptienne expatriée. L'absence de
réforme du mode de scrutin, conjuguée avec la disparition de fait de l'ancien
Parti national démocrate (PND) risque aussi de se traduire par un parlement
«disparate et dominé par des chefs locaux», ajoutent-ils. Le calendrier suggéré
par l'armée - un référendum constitutionnel en mars, des législatives en juin
et une présidentielle en août - est également jugé par certains opposants trop
serré pour un pays où l'opposition est divisée et peu structurée, à l'exception
du puissant mouvement des Frères musulmans. La dégradation de la situation
économique provoquée par les troubles et l'instabilité politique constitue un
défi supplémentaire. Les autorités ont annoncé que la Bourse du Caire, fermée
depuis cinq semaines, resterait fermée «indéfiniment», après l'échec de
plusieurs annonces de réouverture. Malgré une lente reprise du tourisme, le
pays a également déjà perdu des semaines de précieuses recettes. La crise en
Libye, où travaillent quelque 1,5 million d'Egyptiens, ajoute un fardeau
supplémentaire avec la fuite par dizaines de milliers de ces expatriés,
aggravant un chômage évalué à 10% de la population active égyptienne
officiellement, 20% officieusement.